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— Chevalier, — répliqua Van-Praët, — vous parlez d’or, et vous êtes le plus aimable garçon que je connaisse !… Nous commencions à craindre de vous voir manquer au rendez-vous.

— Allons donc ! — dit Regnault en caressant ses cheveux, — vos marchandes de Francfort-sur-le-Mein ne sont pas encore assez ravissantes pour empêcher un galant homme de se rendre à ses affaires… J’ai été retenu en chemin, — ajouta-t-il avec le triomphant accent de fatuité qui lui était naturel, — par une petite aventure assez désagréable… Un pauvre diable qui m’a cherché querelle… Vous savez, on est exposé à cela.

Regnault était un peu pâle, mais il souriait.

— Vous l’avez tué ? — demanda Van-Praët, — et le seigneur Yanos était votre témoin ?…

— Non, répondit sèchement le madgyar.

— Non, — répéta Regnault, — le seigneur Yanos n’avait rien à faire à tout ceci… Je vous conterai la chose au dessert, si j’y pense… Mais, où en sommes-nous ? Voyons, maître Zachœus, des détails, s’il vous plaît.

— M. le comte est bien bas, repartit l’intendant, qui but un verre de vin du Rhin à petites gorgées ; — demandez à meinherr Van-Praët… Le docteur l’a mené rondement ces jours-ci… et le fameux breuvage de vie me paraît avoir rempli merveilleusement son office.

— Oui, ajouta Van-Praët en ricanant bonnement ; mais pendant cela, le creuset est sur le feu de la tour du Guet… Le grand-œuvre s’accomplit tout doucement là-haut… et ce sera bien le diable si Gunther n’a pas le temps, avant de mourir, de changer en bel et bon or tous les plombs et gouttières du château de Bluthaupt !…

Le juif Mosès regarda Van-Praët timidement, comme s’il eut hésité à prendre ses paroles en raillerie.

— C’est pourtant moi, reprit le gros Hollandais dans un subit épanouissement d’orgueil, — c’est pourtant moi qui vous ai donné les moyens, mes très-chers amis, de conclure cette excellente affaire !

— Et moi ? s’écria Zachœus.

— Et moi ? répéta plus bas l’humble Mosès Geld, qui avalait en tapinois d’énormes gobelets de vin.