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ceur. Ce que j’en dis est dans ton intérêt… Je voudrais te faire gagner quelques sacs : voilà l’histoire… parce que, vois-tu bien, si tu avais une fois un petit magot, ton commerce irait sur des roulettes. Et crois-moi, quand on est heureux et qu’on peut faire bombance avec les amis, on se moque joliment des peccadilles du temps passé.

L’indignation de Fritz s’en était allée comme elle était venue ; il n’y pensait plus.

Son œil, que la colère avait fait briller durant un instant, redevenait morne et stupide.

Il tendit son verre et le vida ensuite d’un seul trait.

— Comment s’appelle l’homme que l’on veut tuer ? demanda-t-il d’une voix basse et creuse.

— Pierre, Paul, Jacques, répondit le marchand de vins, que t’importe cela !… tu ne le connais pas.

— Est-il jeune ?

— Assez.

— Est-il heureux ?

— Ma foi, je n’en sais rien… Voici la chose, mon garçon… Tu feras un voyage au pays… on te mettra un quidam au bout de ton fusil… tu tireras ; et puis tu reviendras avec du foin dans tes bottes… pas vrai que ça te va ?

Fritz ne répandait point ; il semblait penser à autre chose et ne plus comprendre.

— J’ai songé parfois, murmura-t-il après quelques secondes, que si j’avais une femme auprès de moi, jeune, douce, pieuse, je serais moins malheureux…

— Parbleu ! interrompit Johann qui vit là une nouvelle voie ouverte à sa tentation.

— Elle m’aimerait peut-être, reprit l’ancien courrier de Bluthaupt, dont l’œil hagard s’adoucit jusqu’à exprimer une émotion tendre ; je l’entendrais prier Dieu… elle me garderait contre les terreurs de mes nuits…

Johann se prit à rire derrière son verre.

— Le vieux fou ! pensa-t-il.