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de Bouton-d’Or, qui souriait à un rêve d’enfant, s’appuyait contre son épaule.

Les autres étaient couchés çà et là, aux endroits où l’ivresse victorieuse les avait terrassés.

L’atmosphère était chaude, fétide, étouffante ; l’air était saturé de ces odieux parfums d’orgie qui enivrent et soulèvent le cœur.

Madame veuve Taburot avait quitté son comptoir, après avoir lu la dernière ligne de son journal et bu la dernière goutte de sa tisane au rhum. L’établissement restait à la garde du garçon François, chargé d’ouvrir la porte aux connaissances altérées.

À part François, il y avait encore dans la salle deux personnages qui ne dormaient point. Ils étaient attablés devant une chopine d’eau-de vie, dans le coin le plus obscur de la pièce.

En sortant avec le chevalier de Reinhold, Johann avait dit à Pitois et à Mâlou de lui garder Fritz jusqu’à son retour ; on lui avait gardé Fritz.

Les deux hommes attablés devant la chopine d’eau-de-vie étaient Johann et l’ancien courrier de Bluthaupt.

Johann s’était chargé de fournir quatre travailleurs de bonne volonté, sachant l’allemand et aptes à certaine besogne qui devait être accomplie de l’autre côté du Rhin. Sur les quatre ouvriers, il n’en avait que deux encore. Il était en train d’embaucher le troisième.

Fritz était un malheureux dont une ivresse de chaque jour avait usé toutes les facultés ; on ne pouvait plus savoir ce qu’il avait été autrefois, ceux-là seulement qui l’avaient connu dans sa jeunesse disaient que Fritz avait uni un cœur loyal à un esprit intelligent.

Mais comment les croire ? Il ne restait rien en lui que la volonté de s’enivrer sans cesse.

Fritz avait été beau, c’était maintenant un débris humain dont l’aspect effrayait et repoussait.

Il y avait vingt ans qu’on ne l’avait vu sourire, vingt ans à dater de cette nuit de la Toussaint, où le dernier comte de Bluthaupt était mort de vieillesse auprès de sa femme expirée…

Cette nuit-là, Fritz revenait de Francfort-sur-le-Mein, où il avait été accomplir un message.