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— J’y suis ! s’écria-t-elle en frappant ses mains l’une contre l’autre ; mon Dieu que n’ai-je pensé à cela plus tôt !… vous ne m’auriez pas effrayée comme une petite fille, Albert, avec vos graves fadaises et votre tenue de tuteur castillan !… je me souviens maintenant de votre apparition à la porte du cabinet du café Anglais. C’est depuis cette heure, sans doute, que vous avez perdu votre air gaillard, pour prendre ce long visage morose… Ai-je deviné ?

Rodach fit un geste équivoque. Il avait toute l’apparence d’un homme qui veut paraître au fait de la chose dont on parle et qui ne sait pas…

Petite prit cet embarras pour le dépit que Rodach éprouvait à voir son grand mystère percé à jour. Elle chérissait trop son idée pour la perdre un seul instant de vue.

— Voilà le motif de votre arrivée théâtrale à l’hôtel de mon père, reprit-elle ; vous êtes jaloux, mon pauvre Albert ! jaloux comme un barbon ou comme un collégien !… Fi donc ! un si beau cavalier ! un don Juan ! finir par où les bergers commencent… Et après votre visite à l’hôtel, vous avez été comme une âme en peine… Quand je suis sortie, vous étiez quelque part dans la rue, vous m’avez suivie chez moi, chez Batailleur, chez Franz…

— Ah ! interrompit Rodach qui joua l’ignorance, il se nomme Franz !

— Vous m’avez suivie jusqu’ici… Quant à la manière dont vous y avez pu entrer, quant aux moyens que vous avez employés pour apprendre les noms du banquier et de la baronne, je l’ignore ; mais après tout, il n’y a pas besoin d’être sorcier pour cela !

Rodach la laissait parler sans l’interrompre et ne semblait point avoir envie de ranimer son inquiétude.

— Et ce jeune Franz ?… dit-il avec une hésitation feinte, vous l’aimez ?

— Peut-être, répondit Sara en minaudant.

Les noirs sourcils de Rodach se contractèrent.

— Si je l’aimais, poursuivit Petite qui mettait des grâces provocantes dans son sourire, que feriez-vous, Albert ?

Rodach baissa les yeux et répondit d’un air sombre :

— Je le tuerais !