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dame de Laurens aurait pu, à la rigueur, affronter le regard de ses amis ; mais c’était une femme prudente dans ses hardiesses et qui n’osait jamais qu’à bon escient.

Aujourd’hui, madame de Saint-Roch n’avait pas eu besoin de s’occuper de sa toilette ; la présence du vaudevilliste et de M. le comte de Mirelune qui avaient tous les deux leurs entrées à l’hôtel de Geldberg, commandait à Petite de ne point se montrer à la salle commune. Elle était arrivée depuis quelques minutes à peine, lorsque l’étranger, qui possédait le mot de passe sans doute, s’était introduit dans la maison.

Petite ne l’avait point vu entrer. Elle était en ce moment toute rêveuse et songeait aux événements de la journée. Sa main avait machinalement ouvert un petit coffret d’un travail exquis, placé auprès d’elle et qui lui servait de caisse. Elle y avait pris un billet de banque qu’elle avait poussé sur le tapis par habitude pure. Ce fait de risquer un enjeu à cette table qui était à elle et dont le banquier faisait valoir des fonds fournis par elle était, du reste, un enfantillage de joueuse émérite. Le combat sérieux était entre M. de Navarin et la foule. En jouant contre lui, Sara jouait contre elle-même. Mais l’ancien officier supérieur au service du roi des Grecs prétendait que cette petite manœuvre n’était pas absolument inutile : les billets de banque attirent les billets de banque, cela ouvrait les portefeuilles, cela faisait aller la partie.

Les jours où Sara voulait jouer pour tout de bon et par elle-même, elle avait d’ailleurs la table du lansquenet, où sa présence ne manquait jamais d’amonceler des tas d’or.

Mais, ce soir, elle avait en tête autre chose que le jeu. Sa mémoire était comble en quelque sorte et son esprit travaillait malgré elle. Que de choses en vingt-quatre heures, sans parler même des aventures du bal Favart ! La maladie de son mari, qui semblait aborder sa suprême période, le duel de Franz qui était sorti vainqueur de l’épreuve et qui restait pour elle comme une menace vivante, sa fille enfin, cette pauvre enfant chétive et pâle qu’elle avait vue à travers les planches mal jointes de la devanture d’Araby !…

Judith, la fille unique de la grande dame, l’héritière de tous ces millions dérobés laborieusement, Nono la Galifarde, l’esclave de l’usurier, la