Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/749

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où l’admiration naïve et la raillerie se mêlaient à doses égales ; M. Franz, depuis qu’il est riche et fils d’un prince, vous promettra, si vous voulez, de sauter la Seine à pieds joints… et qui sait s’il ne tiendrait point sa promesse ! ajouta-t-elle en baissant la voix, tout à coup sous l’impression d’un souvenir superstitieux ; il y a autour de lui des choses étranges, et quand on réfléchit à ce qui lui est arrivé, depuis hier, on ne sait plus que penser…

Ce fut en ce moment que Jean Regnault frappa pour la première fois à la porte de l’escalier.

Gertraud n’entendit pas. Jean fut obligé de répéter deux eu trois fois son appel. Quand la jeune fille entendit enfin, elle s’élança dans la chambre d’entrée, en fermant la porte sur les deux amants.

Ce devait être Hans Dorn. Gertraud n’était point troublée, parce que sa conscience ne lui reprochait rien. Elle ouvrit la porte sans hésiter et tendit le front au baiser de son père.

Le pauvre Jean ne songea point à profiter de l’aubaine.

— Bien des pardons de venir vous voir à cette heure-là, Mamzelle Gertraud, dit-il en restant sur le seuil de la porte ; mais c’est que j’ai un grand service à vous demander.

Le pauvre Jean avait l’air plus timide encore que de coutume, et le mouvement involontaire que fit Gertraud en le reconnaissant doubla son embarras. En quittant Polyte sur la place de la Rotonde, il était tout feu et tout espoir ; il songeait à jouer, à gagner, à sauver la mère Regnault, qu’il aimait tant : l’éloquence du favori de madame Batailleur l’avait électrisé.

Mais il y avait maintenant deux ou trois longues minutes que la parole encourageante de Polyte lui manquait. Son ardeur se refroidissait ; sa timidité revenait.

D’ordinaire, l’accueil avenant et cordial de Gertraud mettait fin bien vite à l’embarras du joueur d’orgue.

Ce soir Gertraud avait l’air presque aussi embarrassée que lui. Jean subit le contre-coup de ce trouble. Il avait commencé son explication, la rouge au front, mais la voix libre ; au bout de quelques mots, sa phrase s’embrouilla ; il balbutia, il ne savait plus…