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Gertraud n’y prit point garde.

— Je ne sais pas ce qu’ils se disaient, poursuivit-elle ; — toute cette partie de mes souvenirs est confuse… Je me rappelle seulement que celui dont l’épée avait jeté l’étranger sur le carreau, et qui gardait encore sa tôle découverte, tira un parchemin de son sein et le déchira en mille pièces, après avoir baisé le front de Margarethe.

» Margarethe pleurait…

» Tout cela était devant mes yeux et passait comme une vision folle. Je me disais que c’était peut-être un rêve, tout plein d’accablantes terreurs.

» Ma paupière alourdie se ferma de nouveau. — Quand elle se rouvrit, les rayons du jour naissant inondaient la salle, — La comtesse dormait de ce sommeil souriant et tranquille qui la fait ressembler aux anges.

» La chambre gardait exactement l’aspect qu’elle avait le soir précédent. Il n’y avait plus ni Hommes Rouges ni étranger au noir manteau. — Toutes les portes étaient fermées.

» Enhardie par les rayons du jour et incapable de résister à ma curiosité inquiète, j’ouvris la petite porte par où les Trois Hommes Rouges avaient dû s’introduire. — Mon cœur battait bien fort, car je m’attendais à trouver au delà du seuil le cadavre de l’étranger.

» Mais il n’y avait rien dans l’oratoire, où le beau missel de Margarethe s’ouvrait pieusement sur son prie-Dieu bénit. Je descendis l’escalier sombre, et mon regard interrogea la cour, ensevelie sous un tapis de neige.

» La neige ne gardait aucune trace de pas… »

La jeune fille s’interrompit et mit sa main sur sa poitrine étouffée.

— Mais le pas des démons, reprit-elle à voix basse, laisse-t-il des marques de son passage sur cette terre ?

» En ce premier moment je ne raisonnais point ainsi. Je m’efforçais de croire à un rêve, et je me disais que mon trouble et ma faiblesse étaient le résultat d’une nuit de fièvre.

» Je remontai. Mon regard fit lentement le tour de la chambre, examinant chaque objet avec une attention nouvelle.