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avait promis de le revoir et de s’informer encore ; elle avait promis surtout de savoir s’il n’y avait point de suites possibles à ce duel, et si Franz était à l’abri de tout danger.

Ceci était un prétexte pour la conscience de Denise, comme la broderie était un prétexte auprès de Marianne. Denise savait en réalité à peu près tout ce qu’elle pouvait savoir, mais elle voulait parler de Franz encore, entendre prononcer son nom ; elle avait tant souffert la nuit précédente ! elle avait eu des frayeurs si cruelles !

En entrant, elle tendit la main à Gertraud, qui lui faisait une belle révérence. Bien qu’elles eussent partagé les mêmes jeux dans leur enfance, Gertraud qui avait tous les genres de tact, n’essayait point d’établir une égalité impossible et mettait comme un vêtement de respect à son dévouement affectueux. Denise, au contraire, effaçait volontairement et de son mieux la distance que leurs positions sociales établissaient entre elles.

Quoique Gertraud eût cessé depuis longtemps de la tutoyer, Denise employait toujours avec la jolie brodeuse cette formule amie.

Elles étaient toutes deux dans leurs rôles. Elles s’aimaient ; la loyauté de leurs cœurs, jointe à la délicatesse de leurs caractères, réalisait ce problème difficile d’une liaison sincère entre une riche demoiselle et la fille, d’un homme travaillant de ses mains.

Liaison sans jalousie d’un côté, sans orgueil de l’autre ; liaison qui ne blessait même pas les convenances étroites du monde, car chacune des deux amies restait parfaitement à sa place, et si quelque pas était tait en dehors des règles rigides de l’étiquette, ce n’était jamais la brodeuse qui le risquait.

— Je ne t’ai pas assez remerciée, ma bonne Gertraud, dit Denise en entrant, pour la joie que tu m’as donnée ce matin. Si tu savais tout ce qu’il m’avait dit hier au soir !… c’est à peine si je pouvais garder quelque espérance…

On voyait une sorte d’embarras sur la physionomie de Gertraud, et quelque chose manquait à son accueil, d’ordinaire si franc et si cordial.

On eût dit qu’elle avait une pensée de crainte ou quelque petit remords.