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— Je suis bien sûre… commença Gertraud vivement.

Puis elle rougit de nouveau et s’arrêta, décontenancée.

Franz fit semblant de ne point remarquer ce trouble.

— Me voilà riche ! poursuivit-il. C’est un fait acquis… et vous ne sauriez croire, petite sœur, combien cela me va d’être riche !… Mon Dieu, je n’aime pas beaucoup l’argent et je ne crois pas être avare… mais si j’avais une chambre pleine d’or, je serais le plus heureux homme du monde.

— Bon Dieu ! s’écria Gertraud, que feriez-vous de tout cela ?

— J’ouvrirais la porte et les fenêtres, répliqua Franz.

Puis son regard devint rêveur, et il ajouta d’un ton plus grave :

— Savez-vous que ce doit être une bien belle chose, Gertraud !… J’ai vu la misère de près ; je sais qu’on souffre à Paris. Oh ! ce serait une belle vie ! toujours la main ouverte !… Autour de soi, l’on verrait se sécher toutes les larmes… Cette pauvre jeune fille qui s’incline toute pâle auprès du grabat de son vieux père, on la verrait se redresser et sourire… Elles sont si heureuses les fleurs que la sécheresse a couchées sur le sol aride et que relève une goutte de rosée ! Cet homme fort, que la faim va pousser dans le découragement et dans le crime, on le verrait tourner le dos au précipice et remonter fièrement la pente de la vie… les plaintes s’étoufferaient, les sanglots se tairaient… si loin que pussent se porter les regards, on verrait le bonheur sourire… Oh oui ! Gertraud, l’or est un Dieu puissant, et je voudrais des millions !

La jeune fille le regardait émue.

Franz l’attira contre lui d’un geste gracieux, et se mit à caresser sa main doucement.

— Que de joies on achèterait pour un peu d’or ! reprit-il d’une voix basse où vibrait comme une harmonie voilée ; — que de hontes on pourrait laver ! que de fautes expier, que d’insultes réparer ! Mais tenez, petite sœur, sans aller chercher ces misères horribles qui se cachent dans Paris, et que le riche découvre de temps en temps avec un étonnement effrayé, il est d’autres peines, silencieuses aussi, qu’il serait si aisé de changer en allégresse !… Je connais un jeune homme qui est beau, brave, fort, qui soutient sa famille indigente, et qui aime une jolie enfant, sa voisine…