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— Oh ! hé Jean ! cria-t-il. Petit Jean !… comme tu passes fier à côté des amis !

Jean Regnault n’entendait pas, il poursuivait son chemin, tête baissée.

Polyte courut après lui et le prit par le bras.

— Eh bien ! eh bien ! dit-il, es-tu devenu sourd, petit Jean !

Celui-ci s’arrêta enfin et leva les yeux d’un air étonné. Au premier aspect il ne reconnut point son camarade d’école. L’hésitation qu’il montrait fit sourire Polyte et le flatta très-évidemment.

— Tu ne me remets pas, mon petit ? prononça-t-il d’un ton protecteur en relevant sa cravate affaissée ; — je conçois ça, on prend de la taille… Et puis, faut dire que j’ai un peu changé de manières… Mais je n’en suis pas plus fier pour cela, mon bonhomme… Une poignée de main, vivement !

La figure de Jean Regnault, qui était chargée de tristesse, s’éclaira pour un instant ; il eut presque un sourire.

Polyte et lui avaient été grands amis autrefois.

— Comme te voilà devenu grand ! murmura-t-il. — J’aurais passé auprès de toi sans te reconnaître !

Le protégé de madame Batailleur caressa ses gants demi-propres, et dit :

— Je crois bien !…

Le regard de Jean le parcourut de la tête aux pieds.

— Au temps où nous nous connaissions, Polyte, reprit-il avec un gros soupir, — nous étions bien heureux !

— Tu trouves, toi, mon bon ?… Eh bien, pas moi !

— C’est vrai, poursuivit Jean, ce que les uns regrettent comme du bonheur, les autres voudraient l’oublier… on dirait que tu es devenu riche ?

— Oh ! oh ! fit Polyte, riche n’est pas le mot… mais je suis légèrement à mon aise.

— Tu as une place ?

— Et une crâne !… Mais d’où sors-tu donc, mon petit, si tu ne sais pas que je suis avec madame Batailleur ?

— Ah ! fit Jean.

Cette exclamation n’impliquait ni étonnement ni répugnance. Jean