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gentilhomme du voisinage ne passait jamais le seuil. — Son frère lui-même ne venait point le visiter.

» Ce que je vais vous dire est étrange ; mais je l’ai entendu répéter tant de fois, qu’il faut bien y croire. — Il y a trois ans, Gunther de Bluthaupt ne savait rien sur la famille de son frère.

» À cette époque seulement, il parut s’éveiller de son long oubli. Il s’informa, il apprit que la famille d’Ulrich se composait de deux filles légitimes et de trois jumeaux à peine sortis de l’enfance, qui n’avaient point pour mère une comtesse de Bluthaupt.

» Vous m’avez entendu parler sans doute du feu qui brille incessamment tout au haut de la tour du Guêt, dans l’aile gauche du château ? C’était alors, comme aujourd’hui, la retraite favorite du comte, qui s’y enfermait durant de longues heures. — Nul n’a jamais su quelle occupation l’y retient, et — que Dieu me pardonne si je commets un péché ! — les gens du pays disent que c’est là un repaire de maléfices et de méchants cultes adressés à Satan.

» Depuis des années, pas une seule nuit ne s’était passée, sans que le feu brûlât au sommet du donjon ; mais les nouvelles que le comte venait d’apprendre le préoccupèrent si fortement, qu’il fut plusieurs jours sans mettre le pied dans sa retraite favorite.

» On l’entendit jurer par Dieu et le diable que le nom de Bluthaupt ne serait jamais porté par des bâtards. — Il envoya un message au comte Ulrich, son frère, et un exprès partit pour la cour de Rome, afin de solliciter des dispenses. — Puis la pauvre comtesse Margarethe arriva au château.

» Parmi les gens de Bluthaupt, la plupart disent que c’est folie d’espérer des enfants dans le vieil âge, quand on n’a pu en avoir dans la jeunesse.

» Des mois se passèrent et rien n’annonça que la jeune comtesse dût être mère.

» Gunther avait repris sa vie mystérieuse, mais il n’était pas seul, et les trois hommes que vous voyez là étaient déjà installés au château.

» Le bruit se répandit que l’un d’eux avait des accointances avec l’esprit malin. — On alla jusqu’à dire que le vieux Gunther avait vendu son