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On voyait ses yeux mornes, creusés par la maigreur et qui n’avaient plus ni rayons ni pensée.

Il jetait sur la foule environnante un regard absorbé : puis sa tête retombait, tandis qu’un murmure confus glissait entre ses lèvres blêmes.

Il paraissait ne rien voir de ce qui se passait autour de lui et ne rien entendre des clameurs folles qui emplissaient la salle.

Les habitués des Quatre Fils lui rendaient du reste la pareille et ne prenaient point souci d’observer sa lugubre humeur ; on ne songeait qu’à mener le plus gaiement possible la soirée du lundi gras.

Il y avait là des toilettes de toutes sortes, et ce que le marchand de vin Johann avait dit au chevalier de Reinhold, pour l’engager à changer de costume, n’était pas rigoureusement exact. Les habits fashionnables du chevalier, portés par un des chalands de l’établissement, n’auraient point excité l’attention, parce que toute parure était bonne à ces hardis industriels. Parmi les blouses qui formaient la majeure partie de la réunion, on voyait çà et là plus d’un habit noir et plus d’une redingote élégante ; mais Johann avait eu raison nonobstant ; un inconnu vêtu avec recherche devait nécessairement exciter en ce lieu l’attention et la défiance.

D’un autre côté, le Bausse était un personnage trop célèbre dans le Temple pour qu’il ne se trouvât pas là quelque brocanteur ayant été à même de le voir. Johann ne voulait point qu’il fût reconnu ainsi par tout le monde.

S’il y avait de la différence entre les toilettes des hommes, celles des dames étaient encore plus disparates. Le même quadrille réunissait quelque grosse mère portant un fichu à carreaux et un mouchoir de cotonnade sur la tête, avec quelque pimpante grisette et quelque grande dame qui semblait échappée d’un boudoir du faubourg Saint-Honoré.

Et tout cela vivait en parfaite intelligence ; la grande dame tutoyait la commère, qui le lui rendait du meilleur de son cœur.

La danse, il est à peine besoin de le dire, était un peu échevelée ; néanmoins elle ne dépassait pas de beaucoup les bornes imposées aux amateurs de nos bals publics par l’autorité intelligente des sergents de ville ; les gestes se modéraient par respect pour la majesté de madame veuve Tabu-