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Alors, ce fut une lutte folle sur les tas de débris amoncelés près de la muraille. Les deux hommes se roulèrent dans la poudre, en riant comme des bienheureux.

Qui serait expert en fait d’ivresse, sinon un cabaretier allemand des abords du Temple ? Johann jugea le timbre de ces rires.

Sa face revêche se dérida tout à coup.

— Ils ont boissonné, les deux Templiers ! se dit-il joyeusement ; — et, au fait, un lundi gras, quand on a travaillé comme il faut, on est bien loisible de se boire…

— Johann ! demandait tout bas le chevalier de Reinhold, que faites-vous là tout seul ?…

Le cabaretier poursuivait le cours de ses inductions et se disait :

— C’est égal ! je les aimerais mieux dans un cabinet des Quatre Fils qu’à ce coin de rue, les braves garçons !… C’est juste notre affaire !… Il n’y a pas à dire, on ne trouverait pas à les remplacer dans tout le Temple… et si une patrouille venait me les prendre sous le nez, ce serait dix mille francs de flambés !… Mais vont-ils finir aujourd’hui ou demain ?…

Dans sa sollicitude soudainement excitée, il fit quelques pas pour les rejoindre et leur prodiguer de prudents conseils.

— Johann ! Johann ! cria le chevalier qui ne voyait rien sinon la retraite inexplicable de son premier ministre, — faut-il aller avec vous ?

En ce moment, Johann s’arrêta. Les deux hommes venaient de se relever, chancelant sur leurs jambes avinées, et faisaient chacun un paquet de son butin.

Quand ils eurent achevé, ils se prirent bras dessus, bras dessous, et se dirigèrent, en roulant et en se poussant, vers les Quatre Fils Aymon.

De temps en temps, ils essayaient une manière de danse sur l’air du Larifla et ils chantaient :

Habits et pantalons,
Gilets et caleçons,
Pour nous jamais ne sont
Ni trop courts ni trop longs.
Larifla, etc.

Et après le refrain, ils criaient à tue-tête, en imitant l’accent mélancolique des chineurs allemands :