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L’homme qui venait du côté du corps de garde tournait en ce moment la courbe de la Rotonde et apparaissait aux regards de nos deux compagnons. C’était un pauvre diable, vêtu d’un mauvais paletot grisâtre, qui marchait courbé en deux et le menton dans la poitrine.

Au lieu de continuer à suivre le péristyle, il descendit sur le pavé de la place et se dirigea vers l’enseigne des Quatre Fils Aymon.

Quand il passa sous le réverbère voisin, on put apercevoir les grandes mèches de ses cheveux qui s’échappaient de son chapeau pelé, et les touffes ébouriffées de sa barbe couvrant comme un masque de fourrure fauve la majeure partie de son visage.

— Où donc ai-je vu cet homme-là ? pensa tout haut le chevalier.

Johann le regarda sournoisement et se prit à sourire.

— Cet homme-là vous occupe plus souvent que bien d’autres, murmura-t-il ; et vous m’avez parlé de lui bien des fois…

— Quel est son nom ?

— À la rigueur, il pourrait faire un de nos ouvriers… pas de bon gré, assurément, car il se ferait hacher pour les fils de Bluthaupt !

— Quel est son nom ? répéta le chevalier avec une curiosité croissante.

— Mais, poursuivit Johann avant de répliquer, — on lui parlerait du diable qu’il croit son maître, depuis certaine aventure à vous parfaitement connue, monsieur le chevalier…

— Mais dites-moi donc son nom !

— On lui parlerait de l’enfer de Bluthaupt qu’il voit toutes les nuits dans ses rêves, et d’un cadavre couché dans la neige, au fond du trou, sur la traverse de Heidelberg…

— Serait-ce lui ?… balbutia le chevalier d’une voix changée.

— On lui dirait qu’il a reçu le prix du sang, acheva Johann ; et il ferait tout ce qu’on voudrait… C’est le pauvre Fritz, l’ancien courrier de Bluthaupt.

Reinhold détourna la tête. Il était pâle et sa respiration devenait pénible.

— Faute de mieux, cela fait toujours un, reprit Johann ; et celui-là je sais où le retrouver… Mais où diable sont donc passés les Larifla ?…

On n’entendait plus en effet ni les pas ni la voix des deux chanteurs.