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Par une coïncidence qui n’était point l’effet du hasard, Van-Praët, poussé par les sollicitations toujours plus ardentes du vieux comte, dont l’affaiblissement physique augmentait la crédulité, lui avait promis, pour cette nuit même, la réalisation définitive du Grand-Œuvre.

Les fourneaux étaient allumés dans le laboratoire, et le métal en fusion bouillait au fond du creuset…

Le silence régnait autour de la vaste cheminée. On entendait les chuchotements de Hans et de Gertraud, qui s’entretenaient dans l’embrasure lointaine. — Des plaintes faibles et à peine saisissables perçaient toujours, de temps en temps, l’étoffe épaisse des rideaux.

Une musique étrange, qui semblait descendre des nuages, se fit entendre. C’était le carillon de Bluthaupt qui chantait. — Quand le carillon se tut, la vieille horloge sonna sept heures. Les vibrations enrouées de la cloche se prolongèrent durant quelques secondes, en l’absence de tout bruit.

Le docteur regarda le cadran émaillé de l’antique pendule, dont le timbre allait sonner l’heure à son tour.

— Avant que l’aiguille ait fait le tour de ce cadran, dit-il, le noble comte aura vu le visage de son héritier.

— Dans le même espace de temps, ajouta Van-Praët, il y aura de l’or au fond de notre creuset.

Le visage de Gunther prit une expression de naïve allégresse.

— Ce sera une heureuse nuit pour la maison de Bluthaupt ! reprit Zachœus dont la voix avait à son insu des accents étranges.

— Oh ! bien heureuse ! bien heureuse ! s’écria Gunther ; — mais que les heures vont m’en paraître longues !

Le docteur se leva et versa dans un gobelet d’or une dose de breuvage fumant.

Gunther porta le gobelet à ses lèvres.

— Il me semble que je bois la vie, dit-il en adressant au Portugais un regard de reconnaissance.

Ses joues sèches et creuses s’animèrent pour un instant ; un fugitif éclair s’alluma dans sa prunelle morne ; — puis sa joue redevint plus livide, et l’étincelle de son œil mourut.