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Lia et l’étranger arrivèrent en même temps au pied des arbres ; mais leur direction n’était pas la même : le fugitif suivait la ligne des mélèzes, la jeune fille allait la couper à angle droit.

— Arrêtes ! arrêtez !… cria l’étranger en passant.

Lia ne savait point quel danger la menaçait, mais, d’instinct, elle fit un nouvel effort pour retenir son cheval, — ce fut en vain.

L’étranger, qui l’avait dépassée, se retourna sur sa selle.

Voyant qu’elle allait toujours, il arrêta brusquement sa monture, sauta sur le gazon et s’élança derrière les mélèzes.

Le cheval de Lia, lancé au grand galop, arrivait sur lui.

La jeune fille fit un geste d’effroi ; l’étranger ne bougea pas.

Au moment où le cheval l’atteignait, il le saisit résolument par la bride qui se brisa dans sa main ; le choc fit perdre les étriers à la jeune fille ; elle tomba sur l’herbe. — Le cheval, au contraire, fit un dernier bond en avant, et disparut parmi les broussailles enchevêtrées qui cachaient l’orifice du trou appelé l’Enfer de Bluthaupt.

Lia restait muette d’horreur et couchée sur la lèvre même du précipice. — Les soldats prussiens sortaient du bois à leur tour ; l’étranger se remit en selle et disparut…

Lia prit un autre cheval dans une ferme du voisinage, et revint au logis de madame Muller. — Tout le long de la route, elle songeait, mais autrement que naguère.

Elle avait perdu son insoucieuse gaieté d’enfant.

Et sa pensée ne s’arrêtait point sur le danger terrible, évité comme par miracle. Lia était courageuse comme un homme fort ; l’idée de la mort n’eût point mis sur son beau visage cette subite mélancolie. — Si, maintenant, ses yeux se baissaient, chargés de pensées, c’est qu’elle voyait sans cesse au-devant d’elle la mâle figure de son libérateur.

Il était là, le dos tourné à l’abîme ; le vide s’ouvrait sous ses pieds, et il restait, confiant en sa vigueur intrépide, tout prêt à supporter le choc d’un cheval furieux. Il ne sourcillait pas ; son œil restait grand ouvert ; il se dressait droit et ferme comme la statue de la Vaillance.

Le galop des cavaliers ennemis s’entendait à chaque instant plus proche ; mais il restait calme et fier entre ces deux périls…