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Elle appuya sa tête sur sa main, et se mit à réfléchir. Tout à coup elle se redressa épouvantée.

— Écoutez ! murmura-t-elle.

Un bruit léger se faisait du côté de la porte par où était entrée la servante qui avait apporté le message du docteur.

Esther prêtait l’oreille avidement : son trouble formait un contraste étrange avec le calme parfait de M. le baron de Rodach.

— C’est mon père ! dit-elle enfin en joignant ses mains avec détresse ; — je reconnais son pas… Oh ! Goëtz ! Goëtz ! je vous en conjure, soyez prudent une fois dans votre vie !… mon père me croit pure, et je mourrais de honte s’il pouvait savoir…

Elle s’interrompit pour écouter encore. Le pas était tout proche.

Sa nonchalance habituelle avait disparu ; elle ne fit qu’un saut jusqu’à la porte vitrée.

— Trouvez un prétexte à votre présence, murmura-t-elle rapidement ; — dites que vous vous êtes égaré en cherchant les bureaux… quelque chose… ce que vous voudrez… Mais que mon père ne se doute pas !…

Elle ne put achever. Le bouton de cristal de la grande porte tourna.

Esther avait disparu…

Le baron de Rodach était debout au milieu de la chambre et regardait d’un œil froid la porte où il s’attendait à voir paraître le vieux Mosès Geld.

Le battant sculpté tourna doucement sur ses gonds, repoussant, à mesure, la draperie de la portière.

Au lieu de la face ridée du vieux juif, ce fut une angélique figure de jeune fille qui se montra sur le seuil.

À cette heure, d’ordinaire, toute la famille de Geldberg était rassemblée dans le petit salon. Il faisait sombre déjà ; la jeune fille parut d’abord étonnée de ne voir qu’un homme dans la chambre ; puis elle se recula d’un mouvement involontaire, en découvrant que cet homme était un étranger.

Puis encore, elle poussa un cri faible, quand son regard tomba sur le visage de Rodach.

Elle demeura indécise auprès de la porte, les jambes chancelantes, la joue pâle, le sein soulevé.