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Elle entr’ouvrit la porte vitrée, serra la main de Rodach et le poussa dans le pavillon. Puis elle s’enfuit, légère comme une gazelle.

La comtesse Esther était toujours étendue dans son fauteuil ; ses paupières étaient baissées ; elle songeait.

Au bruit que fit la porte, son regard se releva lentement ; sa bouche s’ouvrit, muette ; elle se frotta les yeux, comme si elle n’eût point voulu croire leur témoignage.

— Goëtz !… dit-elle enfin ; — vous, ici !… pourquoi n’avez-vous pas attendu à ce soir ?…

Le premier mouvement de Rodach fut la surprise et l’indécision. À voir sa physionomie, on eût pensé qu’il ne connaissait pas plus cette femme que le lieu où il se trouvait introduit ainsi, à l’improviste.

Il s’avança néanmoins vers le foyer, la tête haute et le pas délibéré.

Il y avait de la frayeur et à la fois du contentement sur les traits de la comtesse.

— Toujours imprudent ! poursuivit-elle avec un reproche souriant ; — oh ! Goëtz ! Goëtz ! vous ne vous corrigerez donc jamais !

Rodach, qui était arrivé auprès d’elle, s’inclina courtoisement et lui baisa la main.

La comtesse l’examina mieux.

— Mais quel air grave ! dit-elle, — êtes-vous donc devenu un homme sage, depuis hier, mon beau Goëtz ?

— Il y a temps pour tout, madame, répondit Rodach ; l’âge arrive…

La comtesse éclata de rire.

— Il vous dit ces choses avec un sérieux !… s’écria-t-elle ; mais appelez-moi donc Esther, Goëtz ! On dirait que vous êtes fâché contre moi !

Elle se leva et s’appuya doucement au bras du baron.

— Voyez comme je vous aime, murmura-t-elle à son oreille ; votre présence est ici un véritable danger pour moi, et cependant je ne songe point à vous gronder !… il me semble que vous êtes plus beau encore qu’autrefois… Mais comment avez-vous pu oublier l’heure de notre rendez-vous, et quelle idée avez-vous eue de venir me chercher jusqu’ici ?

— Le désir de vous voir plus vite… balbutia Rodach à tout hasard.

Esther lui serra le bras tendrement.