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virile et le besoin d’action, cherchait où occuper sa force oisive. — Enfermé dans sa chambre, il réfléchissait, et Dieu sait les fantômes qui peuvent visiter, aux heures de solitude, une imagination germanique !

D’autres fois, il se confinait dans l’antique bibliothèque du schloss, et il lisait durant de longues journées. Incapable de distinguer le vrai du faux, la rêverie de la réalité, il emplissait son cerveau de vieilles légendes, et façonnait ce qu’il avait de raison à croire toutes sortes de fables.

On sait l’engouement qui entraîna les savants allemands, au moyen âge, vers la prétendue science hermétique. Cet engouement avait passé des docteurs aux gentilshommes, et nul historien ne saurait nombrer la quantité de graffs, de palatins, de landgraves, de rhingraves, de gaugraves, de margraves et de burgraves qui moururent fous, l’œil attaché sur la cornue cabalistique qui devait changer pour eux le plomb en or.

La tradition du pays disait que plusieurs Bluthaupt étaient tombés dans cette folie des temps passés. — Toujours est-il que la bibliothèque du schloss contenait un énorme monceau de bouquins, poudreux, manuscrits ou imprimés, traitant des sûrs moyens d’atteindre, avec ou sans l’aide de Dieu, les sublimités du Grand-Œuvre.

Gunther de Bluthaupt avait dévoré ardemment toutes ces solennelles rêveries. Durant des années entières, il avait lu, relu, médité, comparé les recettes absurdes enfouies dans les longues pages latines ou grecques, quelquefois même hébraïques, de ses auteurs favoris.

Il en était venu à croire fermement et de cette foi inébranlable qui prend la dupe vis-à-vis du charlatanisme vainqueur.

On l’eût coupé par morceaux avant de lui faire confesser son erreur.

Et pourtant, une sorte de pudeur l’arrêta bien longtemps. Il hésitait à franchir le pas qui sépare la théorie de la pratique. Il était désormais versé profondément dans les arcanes les plus ténébreux de la science ; mais l’expérience lui manquait, et la crainte de perdre son âme le retenait. Mais enfin, la passion, combattue et grandissant à chaque instant, fut plus forte que tout le reste. Ses fourneaux rougirent le métal de la cornue, et il devint alchimiste en plein dix-neuvième siècle.

Son laboratoire était situé dans la chambre la plus haute du donjon le plus reculé du château. Ce donjon, à cause de son élévation supérieure,