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avez sauvé la vie du pauvre proscrit, Lia, et pour prix du bienfait, le proscrit a changé votre bonheur en détresse !

» Je ne puis pas dire : Mieux eût valu ma mort, car je ne vis pas pour moi seul, et il faut que ma tâche soit accomplie. Mais mieux eût valu mille fois la captivité, qui est venue plus tard !…

» Je souffrirais peut-être davantage, mais vous seriez encore heureuse.

» Il faut m’oublier, Lia !… je vous en prie, il faut vous dire que je suis mort, et ne plus penser à moi… Écoutez… ma main est teinte de sang !… que peut-il y avoir de commun entre le meurtrier et l’ange ?…

» C’est bien ! j’ai tué ! Le destin me pousse, et Dieu a mis dans ma main l’épée de sa justice !… Oh ! je vous en prie, ne m’aimez plus ! Il me faut, pour remplir ma tâche, la force inflexible et l’impitoyable volonté… Ne m’aimez plus, car je me sens faiblir en songeant que je pourrais être heureux… »

Lia lisait à travers ses larmes, et son âme était pleine de terreurs. Elle frissonnait à ces paroles de meurtre et de vengeance, mais il n’y avait au fond de son cœur aucune pensée de blâme.

Celui qui avait écrit ces lignes était son Dieu. L’idée qu’il pouvait faillir lui eût semblé un blasphème. Elle l’aimait d’un amour victorieux et sans bornes, fort et jeune comme elle-même, — d’un amour qui ressemblait à un culte.

Elle jeta le papier sur la table, où se mêlaient plus de vingt lettres éparses. Les unes étaient de la même écriture que la première, dont nous venons de lire un fragment ; les autres étaient des brouillons inachevés, que la jeune fille avait écrits elle-même, et qu’elle n’avait point envoyés.

Elle n’osait pas tout dire à celui qu’elle aimait. Il était si malheureux ! Elle tâchait de ne lui envoyer que de la joie. Quand son cœur dictait à sa plume des paroles trop tristes, elle jetait loin d’elle la lettre commencée, pour tâcher de la refaire plus gaie…

Sa main erra durant quelques secondes parmi les papiers épars, et son choix tomba sur une lettre, plus souvent relue que les autres, et qu’elle voulait relire encore.

C’était comme un remède qu’elle voulait appliquer sur la blessure vive de son cœur.