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Dans nos bagnes, quand les malfaiteurs célèbres trouvent loisir de raconter leurs hauts faits, vous voyez des forçats inconnus qui s’humilient et qui courbent la tête ; ces hommes n’ont pas commis assez de crimes pour avoir le droit de lever le front avec orgueil.

Eslher, vis-à-vis de sa sœur, était, à peu de chose près, dans une situation analogue.

On lui proposait de l’associer à une faute ; c’était l’idée du refus qui la faisait rougir.

Petite attendit sa réponse durant quelques secondes, tandis qu’Esther, l’hésitation peinte sur le visage, continuait de tenir les yeux baissés. — Sara la contemplait à la dérobée.

Elle ne répétait point sa question. Sa prunelle brillante et demi-voilée sous les longs cils noirs, lançait des éclairs sournois.

Elle guettait, sûre de sa proie. Un sarcasme victorieux et cruel était parmi les grâces mignardes de son sourire.

Elle se leva brusquement, au bout d’une minute, et se dirigea vers la fenêtre qui regardait l’autre pavillon. — Puisque la comtesse hésitait, Sara la voyait vaincue ; elle ne voulait point, par trop de hâte, compromettre son triomphe.

Elle se plaça debout devant les carreaux, et braqua sa lorgnette de spectacle sur la fenêtre du pavillon de gauche.

Esther, voyant qu’elle gardait le silence, tourna la tête de son côté avec lenteur.

— Qu’y a-t-il donc de si intéressant dans le jardin, Petite ? demanda-t-elle.

Petite semblait absorbée dans sa contemplation.

— Vous êtes encore à espionner Lia ? reprit Esther, retombant à son insu dans la conversation qu’elle voulait éviter ; je parie bien que la pauvre enfant ne songe guère aux folies qui nous occupent…

Madame de Laurens abaissa son lorgnon, et secoua le doigt d’un air sérieux, en montrant la fenêtre de Lia.

— Je parie bien, moi, dit-elle, en appuyant sur chacun de ses mots, — qu’elle songe à quelque chose de pire !