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Tandis que le docteur réfléchissait, faisant au-dedans de lui-même une manière de bilan de ses périls et de ses chances, Rodach reprit, comme s’il avait eu intention de le rassurer :

— Établissons bien la situation, je vous prie… Je suis fort, mais quelle raison pourrais-je avoir de vous nuire gratuitement ?… Mon intérêt est manifeste : je veux recouvrer pour mon pupille les créances de la succession Nesmer ; et en même temps, si la chose n’est pas impossible, me créer à moi-même, en tout bien tout honneur, une petite fortune.

Le front du Portugais se rasséréna tout à fait. Le baron découvrait enfin un côté faible. On allait s’entendre.

— Il est bien évident, reprit Rodach, que je n’ai pas attendu ce moment pour comprendre le véritable état des choses… la preuve, c’est que j’ai déjà tiré vingt mille francs de ma poche, et que je me suis mis complètement à la disposition de la maison. Pour moi, le principal c’est que la maison vive et qu’elle ait de quoi payer… Maintenant, vous m’offrez quelque chose de mieux, un partage à deux au lieu d’un partage à quatre… avant d’accepter, j’ai voulu seulement vous faire bien sentir que je pourrais exiger la part du lion…

— Et que vous êtes généreux en ne prenant que moitié, interrompit le docteur. — Je vous accorde cela, monsieur de Rodach, d’autant plus aisément, que c’est sur vous que je compte pour obtenir mon apport dans notre nouvelle société.

— Cette fois, je ne comprends pas du tout, dit le baron.

— Ne vous ai-je pas avoué que j’aime cette femme ! murmura le docteur. — Que je l’aime d’une passion incurable et insensée !… Ne vous ai-je pas avoué que je suis son esclave, et qu’un mot d’elle suffit pour me faire tout oublier !… Si je me rends vers elle moi-même, je suis sûr d’avance d’être vaincu, et je n’espère qu’en votre aide…

— Mon aide vous est acquise, répliqua Rodach sans hésiter ; donnez-moi les moyens de plaider votre cause, et je la plaiderai.

Le docteur rapprocha son fauteuil, tant il eut de contentement à voir la négociation marcher ainsi sur des roulettes.

Il caressa de nouveau sa large boîte d’or, et recommença toute la pantomime que nous avons décrite au début de cette entrevue.