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— Monsieur le baron, reprit-il d’un ton chagrin, je ne puis dire que j’aie conservé tout l’espoir qu’avait fait naître en moi votre venue… la froideur avec laquelle vous accueillez mes ouvertures me donne à craindre de m’être trompé sur vos véritables intentions… Néanmoins, j’irai jusqu’au bout… je suis fou, je vous l’ai dit, et ma folie est incurable, car j’aimerai toujours cette femme qui me hait et qui désire ma ruine… Mais toute folie a ses heures lucides… Quand je suis loin d’elle et que je réfléchis, je me révolte : je désire ardemment me soustraire à son joug… mes pensées d’ambition que sa tyrannie tue, renaissent plus vivaces et plus fortes… la fortune qu’elle m’a prise, je veux la regagner !… la maison de Geldberg qu’elle a minée d’un côté, tandis que Reinhold et Abel la sapaient de l’autre, je veux la relever, la relever à mon profit, — à mon profit et au vôtre, monsieur le baron de Rodach, s’il vous plaît d’abandonner mes deux collègues, pour devenir exclusivement mon allié.

Il était dit que le baron ne s’étonnerait de rien.

— Cela ne me paraît pas impossible, monsieur le docteur, répliqua-t-il le plus naturellement du monde ; — veuillez seulement vous expliquer tout à fait.

Le docteur José Mira ne gardait aucune trace de l’émotion qui l’avait surpris naguère, mais son visage n’avait pas non plus en ce moment cette expression d’immobilité morne que nous lui avons vue jusqu’ici. Il regardait le baron en face, et ses yeux avaient un rayon vif d’intelligence et de volonté.

Rodach attendait, impassible et prêt à tout.

— La maison de Geldberg est à nous, poursuivit le docteur, si nous voulons agir de compagnie… Le rendez-vous que je vous ai demandé n’avait pas d’autre objet que celui-là.

— Monsieur le docteur, je vous écoute.

— Vous arrivez d’Allemagne avec des traites sur nous pour une somme considérable… vous nous tenez… il se trouve que votre intérêt est de nous ménager et même de nous soutenir ; mais votre intérêt pourrait être tout autre, et, en ce cas. Dieu sait que la maison serait bien malade !…

» Suivez, je vous prie, avec attention. Abel n’a rien qu’une demi-douzaine de chevaux qu’il croit de race : Reinhold, malgré son adresse et