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une excellente femme, douce, charitable et incapable de haine ; mais c’était une femme faible, d’intelligence médiocre, et de volonté presque nulle.

Dans le monde, elle passait pour spirituelle, mais l’intelligence, dans le sens propre du mot, a peu de chose à faire avec l’esprit du monde.

On y a vu des gens d’esprit qui n’étaient pas réellement des sots. Accorder au delà de cet aveu généreux serait prodigalité pure…

Madame la vicomtesse d’Audemer avait été bien longtemps pauvre, après la mort de son mari. Elle ne savait rien à cette époque des affaires de Raymond d’Audemer, qui était parti sous prétexte de recueillir la succession d’Ulrich, et qui n’était jamais revenu.

Une lettre d’Otto, le bâtard de Bluthaupt, lui avait appris la mort du vicomte, sans lui donner d’autres détails, et lorsque les bâtards avaient passé depuis à Paris, Otto avait affecté sur ce sujet une sorte de mystère.

Les deux autres, Albert et Goëtz, n’en disaient jamais plus long qu’Otto, et sa volonté semblait être la règle suprême de leur conduite.

Hélène, ignorant les événements qui avaient précédé le départ de son mari, et ne connaissant pas même ce Jacques Regnault, qui était le principal instrument de sa ruine, fit faire des démarches en Allemagne. Elle apprit tout à la fois que la succession de son père lui avait été volée en entier, et que les immenses domaines de Gunther de Bluthaupt, son oncle, étaient tombés légalement entre des mains étrangères.

Elle n’avait plus rien à espérer de ce côté. La famille de son mari lui était à peu près inconnue, et Raymond lui-même avait dit bien souvent devant elle que tous ses parents étaient aussi indigents que lui.

Elle restait seule avec le petit Julien, qui avait six ans, et Denise, qui venait de naître.

Ce furent de rudes années. La pauvre femme n’aurait point pu supporter ce fardeau trop lourd, si les bâtards n’étaient venus quelquefois à son aide.

Otto, Albert et Goëtz n’avaient rien que leurs manteaux rouges en lambeaux, et ils mangeaient du pain noir dans les fermes de l’Allemagne ; mais ils savaient toujours trouver quelques ducats lorsqu’il s’agissait d’une bonne œuvre à faire.