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convives rassemblés, la veille, pour fêter le dimanche gras, au cabaret de la Girafe.

— C’est bien, dit Rodach, ces noms sonnent comme il faut à mon oreille, et nous devons louer Dieu d’avoir réuni tant de braves Allemands loin de la patrie… Parlez-leur séparément et avec prudence ; sondez-les ; sachez au juste jusqu’à quel point ils sont dévoués et fidèles à des souvenirs qui vont s’affaiblissant chaque jour… et hâtez-vous de faire tout cela, car, je vous le répète, la vie de l’enfant est toujours en péril.

Hans, qui avait repris son joyeux visage, depuis le départ de Franz, redevint soucieux et inquiet.

— Ce duel n’est-il pas bien fini ? demanda-t-il.

— Le malheureux qui devait se battre contre lui, répondit le baron, — est pour longtemps hors de combat… mais j’ai appris bien des choses depuis que je ne vous ai vu, ami Dorn !… toute cette nuit a été laborieuse, et mon travail n’est point resté sans fruit… Ce duel n’était point une bataille ordinaire : c’était un assassinat prémédité froidement…

— Un assassinat ! s’écria le marchand d’habits.

— À cet égard encore, répliqua le baron, je n’ai point de preuves positives ; mais je ne suis arrivé que d’hier, et tout ne peut pas se faire en une seule nuit… Ce matin même, mes soupçons, je l’espère, seront changés en certitude.

Le baron se tut. Hans n’osait point lui adresser de questions directes, mais son regard l’interrogeait mieux que n’eussent fait ses paroles.

— C’est encore là une raison de croire, répondit le baron, répondant à ses propres réflexions, — si on l’attaque, c’est qu’on le craint… et pourquoi le craindrait-on, pauvre enfant obscur et abandonné, si quelque mystère, deviné, ne lui donnait de l’importance !… Ces gens sont riches et tout-puissants ; il n’a rien ; il ne peut rien… comment s’expliquer cette haine !…

Rodach repoussa du coude la cassette, et appuya sa tête sur sa main.

— Voilà vingt ans écoulés depuis lors ! reprit-il en baissant la voix. — Ils ne me reconnaîtront pas… quand ils m’ont vu, leurs yeux étaient troublés par la terreur… d’ailleurs, dussent-ils me reconnaître, il faut bien que je sache !… Avec de l’or, ils trouveront sans cesse de nouveaux