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point comprendre… Vous aviez dit que vous le sauveriez et vous l’avez sauvé… Mais vous avez reçu une blessure ?…

— L’épée m’a effleuré l’épaule, répondit Rodaoh, quelques gouttes de sang sur ma chemise, et voilà tout… Fermez la porte, ami Hans ; nous avons à causer de choses plus sérieuses.

Le marchand d’habits attira le lourd battant, et poussa le verrou.

Il revint vers Rodach, qui passait la main sous son manteau comme pour assurer un objet retenu entre son bras et son flanc.

— Vous pouvez parler sans crainte, gracieux seigneur, dit Hans. — Ici, personne ne peut vous entendre ni vous voir.

La première partie de cette assertion était d’une rigoureuse exactitude : la porte, en effet, avait une grande épaisseur, et la pauvre Gertraud n’avait garde d’y venir prêter l’oreille ; — quant au reste, le marchand d’habits se trompait.

Pendant qu’il attendait dans la matinée, inquiet et tourmenté par la crainte, il s’était mis à la fenêtre bien des fois pour jeter un regard vers l’allée obscure qui conduisait à la place de la Rotonde. La croisée était restée ouverte à demi, personne n’y avait fait attention, parce que le poêle de fonte suffisait à tenir l’atmosphère tiède, malgré l’air frais du dehors.

L’ouverture était d’ailleurs bien petite ; mais le vent passait par cette fente étroite, et soulevait de temps en temps le rideau de grosse mousseline chargé d’intercepter les regards curieux du voisinage.

Et chaque fois que le vent soufflait ainsi, deux yeux écarquillés et fixes plongeaient avidement dans la chambre du marchand d’habits.

Ces yeux appartenaient à l’idiot Geignolet, qui n’avait pas quitté son poste, depuis une grande heure, et qui regardait tant qu’il pouvait, espérant toujours découvrir l’endroit où Hans Dorn mettait ses jaunets.

Depuis qu’il avait vu les pièces d’or entre les mains de son frère, cette idée avait pris possession de son cerveau malade ; il n’avait pas d’autre pensée, et son pauvre esprit s’enivrait à rêver des tiroirs pleins d’or.

Et il avait la fièvre, car il savait vaguement que ces petites pièces brillantes valent chacune un monceau de gros sous !…

Il aimait passionnément les sous qui servent à acheter l’eau-de-vie.