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comme vous encore, souriait à vingt ans à la pensée de mourir !… voilà pourquoi votre vue m’a réjoui ce matin. Je ne vous connais pas, je ne sais rien sur vous, sinon ce que j’ai appris de vous-même ; mais, quand j’ai touché votre main tout à l’heure, il m’a semblé que je retrouvais un ami, et j’ai remercié Dieu…

Franz lui secoua la main.

— Eh bien, père Hans, dit-il avec un grand sérieux, si je n’étais pas amoureux comme un fou, je crois que j’épouserais votre fille… Vous êtes la perle des marchands d’habits, et je suis sûr qu’il n’y a pas dans toute la ville un si brave homme que vous… Sur ma foi ! Je reviendrai vous voir souvent et j’apporterai une belle croix d’or à ma petite amie Gertraud, qui fait la moue dans son coin, et qui me trouve le garçon le plus fat du monde !… En attendant, puisque je ne suis pas mort, je vous apporte de l’argent, afin que vous me rendiez ma garde-robe.

— Vous n’avez donc pas dépensé vos deux cent cinquante francs ?

— Par exemple ! s’écria Franz scandalisé ; — j’ai dépensé le double.

— Mais… comment ça ? dit le marchand d’habits.

— Ah ! père Hans, père Hans ! interrompit le jeune homme, si je vous disais tout ce qui m’est arrivé cette nuit, vous ne voudriez pas y croire, car cela ressemble à un rêve de malade… Moi-même, il y a des instants où je me demande si j’étais bien éveillé !…

Il sortit de sa poche la bourse pleine de souverains allemands et en jeta une vingtaine sur la table.

— Cet or est de bon aloi ? dit-il.

Hans prit un des souverains et l’examina longuement. Pendant qu’il le retournait en tout sens, un demi-sourire était autour de sa lèvre, et ses yeux brillaient sous sa paupière baissée. Évidemment, ce n’était pas la pièce d’or seule qui le préoccupait, et son esprit voyageait ailleurs.

— Cet or est bon, murmura-t-il, et chacune de ces pièces vaut dix florins treize kreutzers d’Autriche… Les auriez-vous trouvées ?

— Mieux que cela ! dit Franz. C’est la partie gaie de mon histoire… Figurez-vous que j’avais mis le prix de ma garde-robe dans la poche droite de mes chausses de page… j’étais en page cette nuit, ajouta-t-il en se tournant vers Gertraud, qui avançait la tête éveillée et regardait curieu-