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en vain durant des années… et j’ai fini par surprendre son secret !

Sa voix devenait de plus en plus mourante, lors même que Victoire eût voulu l’écouter, elle aurait pris une peine inutile…

Ce fut comme un brusque réveil. Elle se dressa frémissante, et interrogea le visage de sa bru d’un regard inquiet.

— M’avez-vous entendue. Victoire ? demanda-t-elle en tremblant. — Ai-je dit le secret d’où dépend sa vie ?

Victoire crut qu’elle délirait.

— La vie de qui ? dit-elle.

— Ne m’interrogez pas ! s’écria la vieille femme avec une agitation croissante ; — ne me demandez jamais rien là-dessus, ma fille !… ces pensées me font mourir !… Oh ! non, non, je ne veux pas aller vers lui ! Plutôt la prison mille fois ! car je le connais, il me chasserait… et le prêtre m’a dit hier : « Dieu ne pardonne point aux fils qui repoussent leurs mères… »

Madame Regnault se renversa, faible, sur son grabat ; ses yeux fatigués se fermèrent. Victoire arrangea l’oreiller sous sa tête chenue, et le chant monotone de l’idiot troubla seul le silence de la pauvre demeure.

Le silence dura quelques minutes. Au bout de ce temps, la porte mal jointe s’ouvrit brusquement et Jean Regnault s’élança dans la chambre. Il posa son orgue contre la muraille et gagna en deux bonds le lit de son aïeule.

Une rougeur vive lui couvrait le visage ; ses yeux humides brillaient.

— Maman Regnault ! s’écria-t-il en se mettant à genoux auprès du grabat, — de la joie ! de la joie !… le bon Dieu a eu pitié de nous, et vous n’irez pas en prison !

La vieille femme souleva sa paupière lourde, pendant que Victoire interrogeait son fils d’un regard étonné.

— J’ai de l’argent ! reprit Jean, que son émotion faisait sourire et pleurer à la fois.

— De l’argent ! répéta Victoire, dont la voix trahit une nuance d’inquiétude.

— De l’argent ! répéta l’idiot qui cessa de chanter ; — oh !… oh !… moi, j’ai grand’soif…