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Gertraud vint s’asseoir auprès de lui.

— Est-ce donc bien vrai ? murmura-t-elle.

— C’est bien vrai ! répliqua le joueur d’orgue, en poussant un gémissement ; la pauvre femme a l’air d’être bien vieille, mais elle n’a pas l’âge encore qui exempte de la prison… Hier soir, ma mère m’a dit tout cela en pleurant… Je croyais qu’elle n’avait besoin que du prix de sa place, et j’étais bien joyeux, car ce prix, je l’avais gagné dans la journée… Mais, mon Dieu ! mon Dieu ! il faudrait des semaines et des mois de bonne chance pour gagner la somme dont la mère Regnault a besoin.

Il s’arrêta, et un sanglot convulsif souleva sa poitrine.

— La prison ! reprit-il, la prison à son âge !… Moi, je suis fort, ajouta-t-il en relevant le front ; je n’ai pas peur des mépris du monde… Tout ce que je demanderais à Dieu, c’est qu’on me prît à sa place pour m’enfermer et me faire souffrir… Vous, du moins, vous ne me mépriseriez pas, Gertraud, et vous sauriez que je suis encore un honnête homme…

— Un honnête homme et un bon fils, Jean, mon pauvre Jean ! dit la jeune fille, qui serrait les mains du joueur d’orgue entre les siennes ; — un bon fils et un noble cœur, que je suis fière d’aimer !

Le regard de Jean était triste et charmé à la fois ; ses yeux, humides encore, souriaient.

— Merci ! murmura-t-il.

Puis il secoua la tête brusquement.

— Mais pourquoi parler de cela ? dit-il. Ce n’est pas moi qui ai besoin d’être consolé, ma Gertraud aimée. Je vais travailler… Si je puis trouver une besogne moins ingrate, je vendrai mon orgue… mon pauvre compagnon ! ajouta-t-il en caressant l’instrument de la main, — qui m’a consolé bien des fois quand j’étais triste, — et dont j’ai choisi les airs parmi tous ceux que j’aime !… Mais je le vendrai !… oh ! je le vendrai !… et je voudrais pouvoir sacrifier davantage !

Il se leva et prit la courroie de l’orgue pour la passer sur son épaule.

Gertraud le retint par le bras.

— Restez, murmura-t-elle, restez encore un peu… j’ai quelque chose à vous dire…