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Le pot de terre qui chauffait au-dessus du fourneau contenait le déjeuner de son père et le sien. C’était une bonne grosse soupe allemande, si bravement épaisse qu’une cuiller, plantée au milieu, s’y serait tenue debout. Gertraud l’assaisonna d’une main experte et y puisa d’abord une pleine écuelle, qu’elle recouvrit d’une assiette de faïence.

Cela fait elle noua sur ses beaux cheveux un fichu de mousseline, et descendit lestement l’escalier en tenant sa tasse à la main.

En arrivant au seuil de la cour, elle leva la tête vers la fenêtre de Jean Regnault, qui la guettait du regard. Elle lui adressa un petit signe de tête, et la figure de Jean s’épanouit, comme si un rayon de soleil l’eût soudain éclairée.

Gertraud ne fit que passer. Elle traversa la longue allée qui conduisait sur le carreau du Temple, et se dirigea d’un pas léger vers le bâtiment de la Rotonde.

Les échoppes commençaient à s’ouvrir. De tous côtés, les cabaretiers du voisinage versaient la goutte du matin à leur clientèle altérée, et le péristyle de la Rotonde recevait sa parure journalière de vieux uniformes et d’habits rapetassés.

La plupart des fripiers étaient à leur poste. Çà et là seulement quelques boutiques paresseuses tardaient encore à s’ouvrir.

Tous les petits bazars qui donnent sous le péristyle de la Rotonde, qu’ils soient occupés par des refaçonneurs, par des marchands d’uniformes ou par des revendeurs de chapeaux vulgairement appelés niolleurs, sont bâtis sur un plan identique. À cette règle, il n’y a d’exception que l’établissement du marchand de vin à l’enseigne des Deux Lions, et deux places ouvrant sur le pavé désert qui fait suite à la rue du Petit-Thouars.

Le cabaret a réuni plusieurs échoppes en une seule ; les deux places, au contraire, sont prises sur la même boutique, coupée en deux par une cloison. Dans leur état normal, les places ne sont point trop larges ; réduites à moitié, celles dont nous parlons formaient deux boyaux étroits, rejoignant un arrière-magasin, tranché pareillement en deux portions égales.

La première était occupée par un refaçonneur, trop pauvre pour louer une boutique entière ; la seconde avait pour maître un des personnages les plus considérables du Temple de 1844.