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de sa mère, de sa vieille aïeule et de son frère idiot ; Gertraud aimait tous ces gens pour l’amour de lui.

Lorsque la vieille femme, pliant sous le poids de ses chagrins, tombait malade, Gertraud veillait à son chevet ; elle la soignait, elle la consolait, et si, parfois, les lèvres ridées de madame Regnault retrouvaient un fugitif sourire, c’était parce que le doux visage de Gertraud était devant ses yeux.

Victoire, au contraire, ne pouvait pas la regarder sans tristesse. Elle avait deviné l’amour des deux enfants. Hans Dorn était bon voisin, mais il connaissait mieux que personne la misère des Regnault, et comment espérer qu’il voulût marier son aisance à cet absolu denûment ? C’était encore du malheur qui menaçait…

Elle n’avait garde de faire partager sa crainte à sa belle-mère, dont la vieillesse était si dure et qui souffrait si cruellement !

Ce n’étaient pas, en effet, la misère seule et la maladie qui pesaient sur les derniers jours de madame Regnault. Elle avait un secret, qui faisait sa peine la plus amère, et qui parfois s’échappait à demi de sa poitrine torturée. Elle parlait alors d’un fils, dont quelques vieilles marchandes du Temple se souvenaient encore vaguement, et qui l’avait abandonnée autrefois emportant avec lui toutes les ressources de la famille.

Ce fils s’appelait Jacques. Il était l’enfant chéri de la maison : sa mère l’adorait ; son père lui avait donné une éducation au-dessus de sa fortune.

Ceux qui avaient connaissance de cette histoire disaient que la fuite de Jacques avait porté au père Regnault un coup fatal, et que c’était le désespoir qui l’avait tué.

On ajoutait que depuis ce temps, la main de Dieu s’était appesantie sur la malheureuse famille. La misère était entrée dès lors dans la maison pour n’en plus sortir jamais. Les frères de Jacques étaient morts à la peine. De tous les enfants qui s’asseyaient jadis au foyer du vieux Regnault, il ne restait que la femme de son fils aîné, Victoire, qui, sur deux enfants, avait donné le jour à un être méchant et privé de raison.

Tout ce qui portait le nom de Regnault semblait maudit. Dans le Temple, on avait pitié d’eux un peu, parce que la vieille aïeule était la doyenne les marchandes, et que son enseigne restait à la même place depuis plus