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Margarethe était une douce enfant, incapable de résister aux volontés de son père. Peut-être avait-elle ressenti déjà ce premier trouble d’amour qui sollicite vaguement le cœur des jeunes filles ; peut-être, parmi les voisins du beau château de Rothe, était-il quelque gentilhomme dont la vue mettait un incarnat plus vif sur sa joue de vierge, et rabaissait le voile de sa paupière sur ses grands yeux bleus si purs ; — mais elle ne sut prononcer que des paroles d’obéissance, et consentit à devenir la femme du vieillard.

Elle embrassa en pleurant ses trois frères attristés, puis elle partit.

La lourde grille du schloss de Bluthaupt se referma sur elle et la sépara pour toujours de ceux qu’elle avait aimés.

Le sort d’Hélène était bien différent : elle aimait M. d’Audemer avec passion et recevait souvent la visite de ses trois frères. — C’était alors dans la maison du vicomte, à Paris, des réunions douces et pleines de caressantes tendresses. Les trois jeunes gens oubliaient un instant la tâche politique imposée par leur père. On causait du bonheur présent et du bonheur à venir ; on souriait en contemplant dans son berceau un bel enfant, le fils d’Hélène. — Si un nuage venait à la traverse de ces tranquilles joies, il était soulevé par la pensée de la pauvre Margarethe.

Que faisait-elle dans ce sombre château de Bluthaupt ?…

Le comte Gunther en défendait l’approche aux trois fils d’Ulrich, qu’il détestait et méprisait, parce qu’ils étaient des bâtards.

Le vicomte n’avait presque point de fortune personnelle. La révolution lui avait enlevé le patrimoine de ses pères. Son aisance provenait d’une pension servie par le comte Ulrich, et qui formait la dot de sa femme.

Avant son mariage, il avait connu à Paris un certain chevalier de Regnault, qui passait pour assez bon gentilhomme, et n’était point trop mal reçu dans le monde. — Quelques femmes le trouvaient joli garçon ; il passait pour spirituel auprès de certaines gens, et il avait eu l’adresse de se faire quelques duels avec des libéraux qui ne se battaient point.

On ne savait pas absolument d’où il sortait, bien qu’il parlât bien volontiers de sa noble origine. Personne n’était au fait de ses ressources ; mais il paraissait en fonds et dépensait assez d’argent pour être regardé comme un bien honnête homme.