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caprice d’un enfant, la fantaisie d’un cœur qui s’ignore à demi, et qui s’élance étourdiment au-devant de tout amour.

Seulement le caprice de Franz durait encore, que celui de la juive se mourait déjà sous l’ennui.

Sara était si charmante et savait si bien la coquetterie qui entraine ! L’enfant était fasciné ; il voulait boire jusqu’à la dernière goutte le philtre enivrant où sa lèvre vierge s’était trempée.

L’avantage restait donc à madame de Laurens, comme cela devait être dans une lutte engagée entre un adolescent tout neuf et une coquette de trente ans, rompue à tous les secrets de la diplomatie féminine. Mais cet avantage n’était qu’apparent, parce que la coquette avait à garder un secret et que l’adolescent avait ce secret par hasard.

Elle se croyait à l’abri de toute attaque et n’en était que plus vulnérable, comme ce chevalier des poëmes héroïques de l’Italie, qui se présente au combat avec une armure à l’épreuve, mais dont les pièces, dévissées, se détachent une à une à l’heure du péril.

Il y eut un instant de silence entre les deux sœurs ; puis la comtesse reprit la parole de ce ton leste et indifférent qu’emploient les femmes pour dire la chose qui justement leur tient le plus au cœur.

— Le petit Franz a sans doute un rival plus heureux… dit-elle.

— Peut-être bien, répliqua madame de Laurens.

— Est-ce que vous connaissez beaucoup ce baron de Rodach, Sara ?

— Passablement… et vous ?

— Assez… Peut-on vous demander où vous l’avez rencontré ?

— À Hambourg, il y a deux saisons… Et vous ?

— À Bade, il y a aussi deux saisons.

Les deux sœurs se regardèrent par dessous la dentelle de leurs capuchons.

— Je pense une chose, poursuivit Esther ; ne serait-ce point M. le baron de Rodach qui vous fait tout à coup si cruelle pour ce pauvre petit Franz ?

Sara n’avait jamais vu sa sœur si pénétrante.

— Ne serait-ce point M. le baron de Rodach, répliqua-t-elle, qui vous fait aujourd’hui si curieuse, Esther ?…