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C’était de Julien et de Franz quelles s’entretenaient.

— Quelle imprudence ! disait le domino bleu en se penchant pour mettre sa bouche à portée de l’oreille de sa compagne. Si Julien allait me reconnaître !…

— Bah ! fit le domino noir avec un nonchalant mouvement d’épaules. — M. le vicomte d’Audemer n’est pas sorcier, ma chère enfant… Il n’y verra que du feu, et ce petit danger donne du piquant à notre escapade… sans cela je m’ennuierais horriblement pour ma part !…

Ces excellentes raisons ne paraissaient point faire une impression très-grande sur l’esprit du domino bleu, qui répondit en secouant la tête :

— Il vous est facile d’être brave, ma sœur… ce petit Franz vous connaît seulement sous le nom qu’il vous a plu de choisir… Vous êtes madame Louise de Ligny, et le monde ne mettra point sur votre compte les péchés mignons de cette dame… mais moi, Julien me connaît, et il ne faudrait qu’un regard indiscret pour me perdre !

— L’aimez-vous ? demanda le domino noir.

— Il est joli garçon…

— L’aimez-vous ?

— Il a un beau nom et un titre.

— L’aimez-vous ?

— Il a de la fortune et je ne déteste pas ces aiguillettes des officiers de marine…

Elles étaient dans un coin retiré. Un groupe de promeneurs en habit noir formait autour d’elles une sorte de rempart. La chaleur était accablante et leurs masques les étouffaient.

Elles s’assirent sur la banquette voisine et soulevèrent à la fois leurs loups de velours, garnis de longues barbes de dentelles.

Il n’y avait plus entre leurs traits et le regard des curieux que le satin de leurs capuchons.

Malgré cet obstacle, les vifs rayons des lustres se glissaient jusqu’à leurs visages.

Sous le domino bleu, nous eussions reconnu la figure régulièrement belle de la comtesse Esther ; sous le domino noir se cachaient la fine taille et les traits mobiles de madame de Laurens.