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retenir ! Il fendait sur l’épée avec une ardeur folle, et Grisier dépensait toute sa proverbiale adresse à ne point le blesser.

— Si vous attaquez ainsi, dit-il enfin, vous serez tué à la première passe.

Franz s’était échauffé insensiblement ; son œil, si doux naguère, brillait d’un éclat terrible. Il y avait dans son cerveau une sorte d’ivresse.

— Je tuerai plutôt ! s’écria-t-il en rejetant par derrière les boucles humides de ses cheveux blonds. — Demain, je vous jure sur l’honneur que j’aurai du sang-froid !… Je parerai comme un bonhomme de soixante ans ; je romprai, je jouerai des contres de quarte et de tierce, des demi-cercles et le reste… Mais maintenant j’apprends à frapper… Attention, mon professeur ! essayez de parer vous-même, et ne ménagez rien.

Il croisa le fer, et, mettant en usage le dégagement qu’on venait de lui enseigner, il lança son épée roide comme une balle de mousquet. Grisier voulut parer, mais l’épée se brisa en pièces sur sa poitrine…

Une exclamation vint à la lèvre de Rodach, qui s’agitait, impatient, derrière le rideau.

Sa tête était en fièvre, et sa main comprimait les battements de sa poitrine.

— Qu’il est beau ! pensait-il, et qu’il est brave !… Comme le cœur de ses pères étincelle dans son regard !… Oh ! c’est bien lui ! c’est bien lui !

Durant une seconde, Grisier resta étonné devant ce vaillant coup qui l’avait atteint en plein plastron ; puis il se mit à sourire.

Il se sentait pris d’amitié soudaine pour cet enfant inconnu.

— Touché ! dit-il en s’inclinant ; prenez une autre lame et continuons.

Franz avait jeté le tronçon de son épée. Il se retourna et consulta la pendule.

— Je n’en sais peut-être pas encore assez, répondit-il, mais il se fait tard et je n’ai plus le temps… D’ailleurs, je me fatigue, et, si nous poursuivions, je n’aurais plus la force de danser.

Grisier le regarda comme s’il n’eût point compris. Franz remit son gilet et sa redingote.

— Danser ! grommela Grisier scandalisé.

— Il est onze heures et demie, continua Franz, et je dois être demain,