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— Causons un peu, dit-il, tandis que vos jarrets et votre main vont se reposer… Avez-vous bonne envie de tuer votre adversaire ?

Franz ne s’était assurément point fait cette question-là.

— Ma foi, répliqua-t-il, cela m’est à peu près égal.

— Vous n’êtes pas l’insulté ? reprit Grisier.

— Si fait… mais je suis l’insultant aussi… On m’a dit : Vous trichez ! J’ai jeté mon verre à la figure de l’insolent…

— Au café ?

— Au café.

Grisier fit une grimace. La figure douce et enfantine de Franz lui avait fait espérer une querelle plus futile, et Grisier est le plus grand arrangeur d’affaires qui soit à Paris.

— Et votre adversaire, poursuivit-il, gardant encore un peu d’espérance, est sans doute quelqu’un de vos camarades.

— Non, répondit Franz. C’est un de ces gaillards dont on aperçoit de temps en temps la figure dans les endroits où l’on boit et où l’on joue… Je n’ai su son nom qu’au moment où il m’a donné sa carte.

— Et peut-on vous demander ce nom ?

— Verdier, répondit Franz.

Grisier tressaillit. Le baron de Rodach, qui s’était avancé doucement jusqu’à l’angle du vestiaire, tressaillit plus fort que Grisier.

— Verdier ! murmura-t-il, cherchant à fixer un souvenir. Où donc ai-je entendu ce nom ?

Son front se ridait, sous l’effort qu’il faisait pour éclairer sa mémoire.

Tout à coup ses bras tombèrent et il se redressa :

— Je me souviens ! je me souviens ! pensa-t-il, c’est l’homme de la rue des Fontaines !… Quelque chose me disait que ses paroles me touchaient de près… Ah ! ah ! sa figure est gravée ici, ajouta-t-il en passant sa main sur son front ; je n’aurai pas de peine à le reconnaître.

— Verdier ! répéta à son tour Grisier dont le visage s’était rembruni ; c’est un tireur de seconde force !… le savez-vous ?

— Je le croyais de première, répondit Franz.

— Qu’espérez-vous en vous battant contre lui !

— Pas grand’chose… mais je ne crains rien.