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épousée, dix ans que la rumeur des salons parisiens le désignait comme le plus heureux des maris ; et chacune de ces dix années avait ajouté pour lui un charme à la beauté de Sara. Tous les jours, il la trouvait plus belle ; tous les jours, il la voyait plus jeune. Il l’aimait uniquement et passionnément.

En ce moment où son mal lui donnait trêve, son visage était beau. Son regard, fixé sur Petite, disait son amour sans bornes ; il y avait dans ce regard une sorte de soumission vaincue et des timidités d’esclave.

Petite était renversée dans son fauteuil et semblait avoir oublié parfaitement la présence de son mari ; ses yeux étaient au plafond, et son joli pied battait le tapis en mesure.

Dix heures étaient sonnées depuis longtemps. Petite regarda la pendule, et appela sa femme de chambre.

M. de Laurens attendit inquiet.

La femme de chambre entra.

— Vous pouvez vous coucher, lui dit Petite.

La figure de M. de Laurens s’épanouit, et il respira comme s’il eût échappé à un grand danger.

Sara remit ses yeux au plafond, et son petit pied recommença ses battements périodiques.

Un peu avant onze heures, elle consulta de nouveau la pendule, et ramena son regard vers M. de Laurens, qui restait toujours en contemplation devant elle.

Ce regard était doux, presque caressant. Il descendit comme une goutte de baume jusqu’au fond du cœur de l’agent de change.

— À quoi pensez-vous, Léon ? dit Petite d’un air enjoué.

— Je pense à vous, répondit M. de Laurens.

— Toujours à moi ! murmura la jeune femme, qui tira du fond de sa poitrine un soupir sentimental.

M. de Laurens se leva et vint s’asseoir auprès d’elle ; il prit une main que Petite lui abandonna de la meilleure grâce du monde, il la baisa longuement.

— Toujours à vous, répéta-t-il, toujours !… Vous avez beau faire, Sara, vous ne pourrez pas m’empêcher de vous aimer !