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croisés, se disaient que l’amour devait être un baume pour sa souffrance secrète : Sara était si charmante, et ils semblaient tous deux s’entendre si bien !

Leur vue faisait aimer le mariage. On devinait dans leur intérieur une sympathie douce et cette communauté de cœur qui guérit toute peine.

On était conduit à penser que la tristesse de l’agent de change venait uniquement de sa maladie ; il se voyait mourir et souffrait d’autant plus qu’il avait plus de bonheur à regretter dans la vie.

Esther, qui causait avec lui en ce moment, ne ressemblait point du tout à sa sœur : c’était une grande et belle femme dans tout l’éclat de la jeunesse. Ses traits étaient plus réguliers que ceux de Sara ; mais leur ensemble avait moins de charme. Sa taille, forte et proportionnée admirablement, laissait à désirer cette grâce féminine qui est le vernis de toute beauté. Sa physionomie était immobile, et il semblait que la pensée manquait sous la courbe harmonieuse de son front.

Esther était comtesse, mais comtesse Lampion. Le titre lui allait ; le nom lui pesait. Ses ennemis seuls l’appelaient madame Lampion, et ceux qui voulaient se faire bien venir d’elle laissaient de côté le nom malencontreux de feu le général pair de France. On disait : la comtesse Esther.

À l’autre coin de la cheminée, la jeune fille de Mosès Geld brodait.

Lia n’avait que dix-huit ans. Sa taille, déjà formée, était plus parfaite que celle d’Esther et plus gracieuse que celle de Sara. Le type juif s’effaçait doucement sur son visage délicat et pensif. Son front développait la belle pureté de ses lignes sous la soie abondante d’une chevelure noire, à reflets châtains. Il y avait autour de sa bouche un sourire sérieux et rêveur.

Ses petits doigts de fée maniaient son aiguille avec une lenteur distraite. Quand elle relevait ses longs cils recourbés qui faisaient à sa paupière comme une large bordure de velours, l’œil se fixait ébloui sur sa prunelle d’un bleu sombre, si limpide et si pure, qu’on croyait voir au travers le fond de son âme de vierge.

Lia n’avait point le teint bruni des races orientales ; ses cheveux bouclés retombaient en grappes flexibles jusque sur ses épaules, et encadraient sa joue blanche que colorait un fugitif incarnat.