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secret de notre conduite avait fini par percer… on savait que le prétendu fils du diable était dans notre maison… et, par une contradiction étrange, tout en donnant à l’enfant de leur maître ce nom maudit, les vassaux de Bluthaupt l’attendaient comme un messie.

» Ils étaient bien malheureux ; et ceux d’entre vous qui sont restés quelque temps au pays doivent le savoir mieux que moi ! Les trafiquants qui avaient succédé aux nobles comtes, faisaient peser sur leurs tenanciers des exigences insatiables. Ces belles campagnes de Bluthaupt, que nous connaissions si riches et si prospères, ne rapportaient plus au laboureur le pain de la journée ! Tout allait aux maîtres iniques, et les fermiers, vaincus par la misère, jetaient déjà leurs regards autour d’eux pour chercher au loin une autre patrie. »

— C’est vrai, murmura Hermann, tout était bien changé !

— Ces hommes, poursuivit Hans Dorn, qui s’étaient introduits au château durant les dernières années de la vie du vieux comte, Mosès Geld, le juif, le Madgyar Yanos, Mira, Van-Praët, Regnault et les autres étaient encore dans le pays…

Au nom de Regnault, Fritz leva sur le marchand d’habits son œil sanglant et hagard.

— Il n’y avait que moi sur le bord de la Hœlle, balbutia-t-il d’une voix inintelligible, — et je ne dors plus depuis vingt ans !…

Hermann et les autres convives lui imposèrent silence. Johann veillait à ce que les verres fussent toujours emplis. En outre, il avait l’oreille au guet. Hans reprit :

— Un jour, ma pauvre femme était restée seule à la maison. Elle allaitait notre Gertraud. Le petit Gunther jouait au dehors.

» Tout à coup ma femme entendit des cris plaintifs non loin de la porte. Elle remit Gertraud dans son berceau sur le seuil.

» Le petit Gunther avait disparu. On entendit encore ses cris faibles dans le lointain, et ma femme aperçut, au milieu d’un tourbillon de poussière, un cavalier de grande taille qui fuyait au galop sur la route.

» Elle crut reconnaître Yanos, le Madgyar…

» Les trois fils d’Ulrich s’échappèrent des prisons de Vienne. Ils revin-