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— Au-dedans du château, murmura-t-il, — et au-dehors !… Oh ! oui, ce fut une nuit affreuse !… La Hœlle était noire comme la bouche de l’enfer… et il me semble entendre encore ce cri qui vient me réveiller quand je dors et qui me force à boire… à boire toujours, — afin de ne plus penser !

Il passa le revers de sa main sur son front, où brillaient quelques gouttes de sueur.

— Il y a un homme, dit Johann, qui en sait plus long que personne sur toutes ces choses, et cet homme est notre voisin Hans… Mais il n’a jamais voulu se déboutonner avec ses vieux camarades, parce qu’il n’a pas confiance en nous.

Hans ne répondit point…

— Le fait est que Hans n’a jamais desserré la bouche à ce sujet, reprit Hermann. Pourtant il resta plus de la moitié de la nuit dans la chambre de la comtesse Margarethe… et sa femme Gertraud, que Dieu bénisse ! y demeura toute la nuit.

Hans ne répondit point encore. Il semblait perdu dans ses réflexions.

— Nous avons tous ouï dire, poursuivit Hermann, en baissant la voix, — que, vers l’approche du jour, les trois Hommes Rouges de Bluthaupt apparurent au château, comme c’est leur coutume, depuis des siècles, lorsqu’un comte naît ou meurt… Klaus, qui est maintenant domestique dans la maison de Geldberg, les vit courir sur la montagne, parmi les brouillards du crépuscule, en revenant de Heidelberg, où il avait été envoyé par notre pauvre maîtresse… Le premier courait à bride abattue, et son corps, rouge comme le feu, semblait brûler les flancs de son cheval. Le second portait un enfant entre ses bras… Le troisième tenait en travers une femme évanouie…

Les anciens serviteurs et vassaux de Bluthaupt avaient entendu raconter cent fois cette histoire ; mais ils l’écoutaient avec un intérêt toujours nouveau. Ils avaient joué leurs rôles, pour ainsi dire, dans cette mystérieuse légende, et c’était à quelques pas d’eux que l’œuvre du démon s’était accomplie.

— L’enfant était le fils du diable, dit Johann ; et la femme était Gertraud, que notre voisin Hans épousa six mois après.