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— Ça sait parler comme un marchand fini ! grommela Hermann entre ses dents.

— Quel gandain, mon petit Joseph ! demanda Johann d’un ton caressant : — si tu nous dis ça comme il faut, tu auras un canon.

— Je n’aime pas le vin, dit Geignolet avec mépris ; je veux quatre sous de dur pour mettre dans ma bouteille.

— Tu les auras, Geignolet.

L’idiot se dandina sur son banc. Hans attendait sans trop d’émotion. La figure revêche de Johann exprimait une joie méchante.

Geignolet chantonna, durant un instant, le refrain bizarre de la chanson qui était son ouvrage, puis il commença tout à coup à tue-tête :

C’est demain lundi,
Et maman Regnault n’a pas trente-trois sous
Pour payer sa place ;
On va nous mettre sur le pavé
Pour notre mardi gras ;
Sur le pavé, sur le pavé.
La bonne aventure oh ! gai !

— Nous savons cela, interrompit Johann ; après ?

L’idiot le regarda d’un air hébété, puis il sembla chercher au fond de sa cervelle vide.

— Vous n’avez pas rempli ma bouteille, dit-il.

Johann prit une des topettes d’eau-de-vie qui étaient sur la table, et en versa quelques gorgées dans le flacon de l’idiot.

— Hue ! bourrique ! s’écria celui-ci en frappant sur son banc avec des transports de joie.

Puis il reprit sa chanson.

Le fils Regnault revient le soir
Et donne tous ses sous à la mère.
Pour acheter du pain.
À moi il me donne un sou,
Pour que je ne dise pas
Qu’il va voir mam’zelle Gertraud ;
Et l’embrasser, et l’embrasser
La bonne aventure, oh ! gai !

Un sourire vint à la lèvre de tous les convives. Le marchand d’habits avait froncé légèrement le sourcil.