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il frapper à toutes les portes, l’une après l’autre, je saurai bien le retrouver.

Hans Dorn, à cette heure même, entrait au cabaret de la Girafe, dont le propriétaire, nommé Johann, était pour lui une vieille connaissance. La Girafe, moins grande et moins fréquentée que les deux tavernes à la mode, servait surtout de rendez-vous aux Allemands qui abondent dans le Temple, et qui font volontiers bande à part.

Dans la salle d’entrée, il y avait des marchands ambulants ou chineurs qui buvaient sur le comptoir. Ils étaient servis par une grosse femme à la figure rouge et réjouie qui écorchait, avec un aplomb égal, l’allemand et le français. C’était la compagne de Johann, l’ancien écuyer de Bluthaupt, et nous avons dû l’entrevoir dans la salle de justice du schloss, parmi le troupeau des servantes du vieux Gunther. Elle se nommait Luischen, Lotchen ou Lenchen ; mais les gens du Temple, par une antiphrase bouffonne, l’avaient surnommée la Girafe.

Elle était grosse et courte autant que l’animal peint sur son enseigne était long et fluet.

Mais elle faisait bonne mesure, et son sourire épanoui réjouissait l’âme des buveurs.

Dans une chambre de médiocre étendue, qui donnait sur la rue du Puits, une société assez nombreuse était réunie autour de deux ou trois petites tables, rapprochées pour la circonstance. Les convives étaient tous Allemands, et fêtaient ensemble le carnaval.

Plusieurs fois par an, le cabaret de Johann voyait ces mêmes convives se rassembler et boire en rappelant de bien vieux souvenirs.

En passant dans la salle d’entrée, Hans et la Girafe échangèrent une cordiale poignée de mains. Puis le marchand d’habits perça le flot des buveurs et s’introduisit dans la salle réservée.

Une acclamation joyeuse accueillit sa venue. Il prit la seule place vide qui restât autour des tables, et le festin commença aussitôt.

Presque tous les convives réunis ainsi chez Johann étaient d’anciens serviteurs de la maison de Bluthaupt, ou tout au moins des émigrés du Wurtzbourg. Ils exerçaient dans la ville des industries diverses, et le plus grand nombre d’entre eux tenait au Temple par quelque aboutissant.