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D’ordinaire, l’abandon est triste : ici, quelque chose de gai se dégage de cette solitude. On rêve involontairement de l’âge heureux où le monde en progrès ne connaîtra plus ni larrons ni spéculateurs.

On rêve l’heure où la clef de ces portes closes sera perdue ; l’heure où le veau d’or, délaissé sur l’estrade poudreuse du parquet, mugira tout seul et appellera en vain la foule convertie de ses anciens adorateurs.

On rêve.

Quelques-uns voient un beau jardin, dans l’avenir, à la place de ce sanctuaire redoutable ; d’autres y tracent, par la pensée, le plan symétrique d’un joli phalanstère ; certains y mettraient volontiers une église ; quelques-uns y voudraient un théâtre. En somme, le mieux serait d’y faire un hôpital pour les innombrables blessés des luttes mortelles de l’agiotage.

Devant le Temple vide, on songe aussi, mais c’est à la misère qui pousse dans ces couloirs encombrés tant de centaines de malheureux tous les jours. On songe à l’égoïsme immobile des gens qui possèdent et aux inutiles agitations des adeptes de la science sociale : les uns se taisent et se renferment dans leur bien-être impitoyable, les autres bavardent, hélas ! et se démènent en des contorsions sans fin. Ils remuent, ils brouillent, ils s’efforcent, prenant leurs imaginations pour des principes et leurs lubies pour des axiomes. Vous les voyez se battre les flancs du matin au soir, et se ruer contre ce qui est avec la colère maladive de la faiblesse.

S’ils devenaient forts demain, par hasard, ils démoliraient, mais ils ne sauraient point rebâtir.

Leur cœur est tout plein de généreuses pensées ; ils voient la souffrance, et ils s’indignent ; mais, dans leur esprit brumeux, il n’y a qu’un pauvre roman commencé à la hâte, et dont ils ne savent point le dénoûment.

Comme les haillons valent mieux encore que la nudité, le Temple est utile. La pauvreté se résigne aux mensonges avides de ses marchands, qu’elle connait mieux que nous et qu’elle accepte au même titre que l’usure nécessaire du Mont-de-Piété. Son utilité durera tant que les hommes de génie qui organisent le travail dans les almanachs n’auront point procuré à chaque Français un minimum de mille écus de rentes.