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Le marchand d’habits l’avait suivi jusqu’au seuil d’un regard qui rêvait mélancoliquement.

— Il aurait cet âge-là, murmura-t-il, en secouant la tête avec lenteur, et quand mon œil s’est relevé sur lui, j’ai cru voir le doux visage de la comtesse… Mais n’ai-je pas déjà rencontré une jeune fille qui avait de beaux cheveux blonds et son regard d’ange ?… Elle était si belle ! tous ceux qui sont beaux lui ressemblent.

Il demeura un instant pensif, puis il reprit son compte.

Franz traversa en courant l’allée obscure et s’élança sur la place de la Rotonde. Il passa sans s’arrêter devant le péristyle, où quelques lumières brillaient çà et là, et n’accorda pas même un regard à la nombreuse assemblée qui encombrait le comptoir du cabaret des Deux-Lions, dont l’enseigne est illustre dans tout le quartier. Il s’engagea, toujours courant, dans la rue Forez, descendit la rue Beaujolais, et ne s’arrêta qu’à l’angle de la rue de Bretagne devant la porte de cet hôtel où l’homme au paletot blanc, le chevalier, s’était introduit naguère.

Il interrogea du regard les deux côtés de la rue et se mit à faire faction devant la porte.

Les joies bruyantes du reste de Paris n’influent guère sur la solitude tranquille de certains quartiers privilégiés : le Marais s’endort dans son repos ennuyé lorsque le boulevard rit, danse et hurle. Les deux ou trois cents pas qui séparent la rue de Bretagne du Cadran-Bleu peuvent compter pour une grande lieue ; on n’y entend guère qu’un écho affaibli des chants aigus du carnaval ; le fracas de la ville en goguette s’étouffe avant de parvenir jusqu’en ces calmes solitudes ; les clameurs de la fête n’y sont plus qu’un murmure insaisissable et confus.

Les deux lignes des trottoirs s’étendaient désertes et silencieuses. La moitié des magasins était fermée : le reste projetait sur la rue, de loin en loin, de lumineux éventails.

Çà et là, de bonnes gens passaient, regagnant paisiblement leur domicile et prenant en pitié l’allégresse folle dont ils avaient surpris par hasard quelques éclats.

Ils avaient le chapeau sur le nez, les mains dans les poches et le cher parapluie sous l’aisselle.