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tant, et dont il était jaloux comme tous les gens qui souffrent, sa peine eût été soulagée.

La fillette en effet opérait une retraite héroïque. Elle traversa précipitamment le couloir du rez-de-chaussée, monta un petit escalier dont les marches tremblaient, et entra, sans reprendre haleine, dans la chambre de son père, qui était située au premier étage.

Franz la suivit de près et entra sur ses talons.

— Père, voilà un monsieur qui veut te parler, dit Gertraud.

Hans Dorn, le marchand d’habits, était assis auprès d’une petite table sur laquelle brûlait une mince chandelle de suif. Il faisait ses comptes de la journée. Auprès de lui, sur la table, il y avait quelques pièces de cinq francs, un peu de monnaie d’argent et plusieurs hautes piles de gros sous.

La nuit se faisait noire au dehors. La chambre de Hans, mal éclairée par la petite chandelle, montrait dans une sorte de pénombre ses meubles noirâtres et son lit à rideaux de serge. On ne peut pas dire que cette demeure indiquât l’aisance : mais elle n’annonçait pas non plus la misère. Tout y était propre, et eût même présenté un aspect assez heureux, sans la longue file de vieux habits qui pendait le long des murailles.

Gertraud s’était assise auprès de son père. De ce poste fortifie, elle fixait ses regards brillants et sereins sur notre beau jeune homme, qui lui souriait sans rancune.

C’était vraiment une jolie enfant, et son costume propret de grisette lui allait à ravir.

Ceux qui avaient connu sa mère disaient qu’elle lui ressemblait trait pour trait. — Et sa mère était cette autre Gertraud que nous avions vue jeune aussi, et fraîche, et naïve, dans la chambre de la comtesse Margarethe mourante, au vieux schloss de Bluthaupt.

Parfois, lorsque le marchand d’habits embrassait, le soir, sa chère enfant, qui était son seul bonheur en cette vie, il devenait triste et ses yeux s’emplissaient de larmes.

C’est que sa femme était morte bien jeune et que les doux regards de sa fille lui rappelaient un cruel souvenir.

Hans Dorn était maintenant un homme de quarante ans, fort et gardant