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Ils ne savent pas. Ils écoutent, indécis et charmés, les premières paroles balbutiées tout au fond de leur cœur. Ils vont, se prenant à tout piège où le leurre d’amour les attire. L’appât que d’autres redoutent, ils l’abordent vaillamment et s’y prennent à deux mains. Ne voyez-vous pas d’ailleurs qu’il y a une larme prête à poindre sous leur joli sourire, et que l’heure va sonner où le jeu deviendra passion ?

Ils sont heureux ! n’ont-ils pas le temps de souffrir ?

Hélas ! deux ans de plus sur leurs blondes têtes et le charme qu’ils ont va tourner au ridicule. Dès que l’enfant se sera fait homme, il faudra qu’il change, sous peine de passer à l’état de séducteur banal, et d’offrir un exemplaire de plus de cette odieuse copie du don Juan bourgeois, qui peuple nos salons comme nos boutiques.

Laissez-lui son amour tour à tour timide et hardi, et dont les témérités même n’ont rien qui offense. Laissez-lui ses espérances folles, ses rêveries de page et ces riants combats dont le prix est un baiser. Ne le grondez pas, le pauvret ; demain, il apprendra le respect ; demain, la femme sera pour lui un être sérieux qu’il servira en esclave ou qu’il trompera en bourreau. Attendez à demain.

Franz, au milieu de cette pauvre cour, tenant son gros paquet sous le bras et tout prêt à improviser une attaque galante, côtoyait bien étroitement le ridicule. Lovelace lui-même, en pareille occurrence, eût été puissamment burlesque ; mais Franz n’avait pas vingt ans ; un sourire espiègle scintillait dans ses grands yeux bleus : Franz était charmant.

La petite Gertraud, qui le trouvait tel, et qui était connaisseuse, sentit un vermillon plus vif animer sa joue rondelette ; elle devina l’attaque et fut prudente une fois en sa vie ; elle lâcha pied devant l’ennemi.

Le pauvre Jean Regnault arrivait en ce moment devant l’échoppe vide que son aïeule et sa mère achevaient de fermer. Il était le fils de Victoire et le frère aîné de l’idiot. Il versa religieusement entre les mains de la vieille femme la petite recette de sa journée.

Chaque soir il en était ainsi ; mais ce n’était pas assez pour faire vivre la famille.

Jean travaillait tant qu’il pouvait et était bien malheureux.

S’il avait pu voir, en ce moment, la conduite de Gertraud, qu’il aimait