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eut beau fouiller la voie principale et les cent ruelles qui pénètrent dans l’intérieur des carrés, le jeune homme resta, pour lui, introuvable.

La chute du jour commençait à se faire sentir dans le marché. Le dedans des échoppes devenait sombre, et c’était comme au travers d’une demi-obscurité que l’on apercevait les mouvements confus des marchandes qui se pressaient, qui bavardaient, qui injuriaient, et dont les mille voix aigres ou enrouées se mêlaient en un odieux concert.

Rien au monde, pas même la grande salle de la Bourse, les jours d’adjudication, ne saurait donner une idée de l’activité avide qui met le Temple en fièvre à certaines dates privilégiées. C’est un coup d’œil unique, et qui tient, à notre sens, une place notable dans la physionomie de la grande ville. Le Temple, cette immense baraque, est le digne et vrai pendant de la Bourse. L’un des deux bazars est en pierres de taille, l’autre en planches vermoulues. Dans le premier, on compte par billets de banque ; dans le second, les gros sous sont en faveur ; mais les deux ont fait de l’or ; et les haillons du marché populaire valent mieux, peut-être, en réalité, que les illusions menteuses qui composent le fond de l’opulente boutique de la rue Vivienne.

Rien ne manque à la ressemblance, si ce n’est que la vieille justice du Temple condamne les voleurs maladroits à être battus et chassés. À part cela, tout est pareil. Le Temple a ses loups-cerviers en bottes éculées, qui règlent le cours à leur convenance, et assassinent leurs confrères plus indulgents au moyen de la hausse et de la baisse. Au lieu déjouer sur des actions, la cupidité sans frein joue ici sur des loques : à peine peut-on dire que l’un soit moins propre que l’autre.

Le temple a son argot : qui ne connaît celui de la Bourse ? On peut affirmer que le jargon des chineurs[1] et des râleuses[2] ne vaut pas moins que la langue tarée des coulisses.

Le Temple a son parquet, composé de bausses (patrons) recommandables et de bausseresses huppées ; il a ses courtiers marrons sur le carreau et

  1. Ou roulants : marchands d’habits errants.
  2. Courtières qui engluent la pratique sur le carreau, et qui déshabillent elles-mêmes les chalands chez les marchands de vin du voisinage.