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— Si on me donnait une bonne place, dit Verdier, je couperais mes moustaches et j’irais dans le monde.

Le chevalier insinua sa main gantée dans la poche de son gilet de satin, et remua négligemment quelques pièces d’or.

— Une bonne place, reprit-il, c’est la moindre chose ; mais vous n’êtes plus à l’âge où l’on se fait commis, Verdier… J’ai mieux que cela : notre maison monte une entreprise…

— C’est que je suis bien las ! interrompit Verdier, je n’ai guère le temps d’attendre… Et s’il faut vous dire la vérité, j’aimerais mieux une centaine de louis de la main à la main que tout cela.

— Vous les aurez, mon ami, vous les aurez… Est-ce que je peux vous refuser quelque chose ?… Mais, dites-moi, êtes-vous bien sur de votre main ?

Verdier leva sa canne et fit plusieurs voltes du poignet.

— Je vais toujours à la salle deux ou trois fois par semaine, répondit-il : d’ailleurs, le petit jeune homme ne sait pas seulement tenir une épée.

Ce fut à ce moment que notre inconnu s’approcha. Quelque chose, dans cet entretien, excitait puissamment son intérêt. Il ne comprenait pas tout à fait et ne savait point de qui l’on parlait, mais il sentait en lui l’invincible désir de savoir…

De son coin, il jeta un regard oblique vers les deux interlocuteurs. L’homme au paletot blanc avait toujours le dos tourné ; l’autre souriait, et son sourire donnait une expression repoussante à sa physionomie.

Au lieu de la franchise d’emprunt qui était naguère sur son visage, c’était maintenant quelque chose de bas et d’avide. Il s’était campé sur la hanche, et sa main continuait d’imprimer au jonc flexible de la badine, des mouvements d’épée. Ce jeu traduisait, pour ainsi dire, la pensée inscrite sur son visage, et lui donnait toute l’apparence d’un spadassin de bas lieu.

— Mais comment avez-vous fait pour l’amener à un duel, s’il ne sait pas se battre ? demandait en ce moment le chevalier.

Verdier haussa les épaules.

— C’est simple comme bonjour ! murmura-t-il. On se fait insulter… et puis vogue la galère !