Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre étranger, à travers la large voie. Elle tressaillit et s’arrêta court. Son lorgnon, atteint prestement, ouvrit sa charnière élastique.

Elle releva son voile et voulut regarder mieux.

C’était une très-jolie femme, dont les traits aquilins et délicats semblaient indiquer le type juif ; sa prunelle mobile commandait et caressait à la fois ; son front, un peu trop étroit, se couronnait d’une profusion de cheveux noirs, les plus beaux du monde ; sa lèvre était mince et trop pâle ; elle avait dans la taille une grâce indolente et câline.

Quand son lorgnon ouvert se posa sur ses yeux, un mouvement s’était fait dans la foule ; des voitures et plusieurs groupes de piétons s’interposaient entre elle et notre inconnu ; durant quelques secondes, elle le chercha inutilement du regard.

Son lorgnon se referma ; son voile retomba. Elle demeura un instant indécise ; puis elle reprit sa marche rapide vers le carré que les habitués du Temple appellent le Palais-Royal.

— Je me serai trompée, murmura-t-elle ; ne sais-je pas qu’il ne peut être à Paris ?

Dans le Palais-Royal, où les chalands des deux sexes se pressaient en foule, il y avait une boutique riche et bien fournie entre toutes, qui avait pour maîtresse une grosse femme, nommée madame Batailleur. C’était à cette boutique que se rendait la mante modeste, c’était à cette boutique que se trouvait la jeune fille du remise arrêté place de la Rotonde.

Madame Batailleur vendait de tout et achetait de tout. Sa boutique était comble.

La jeune fille attendait, guettant un moment favorable pour lui parler.

Elle avait relevé un coin de son voile, et l’on pouvait entrevoir un visage d’une beauté régulière et parfaite, embelli encore par l’expression pure et noble d’un regard de vierge.

Madame Batailleur l’aperçut enfin, et quitta aussitôt ses pratiques.

— Rien encore, ma chère demoiselle, lui dit-elle tout bas ; le facteur est venu, et point de lettres !

— Je reviendrai demain, murmura la jeune fille avec un gros soupir.

— Si vous vouliez me permettre, dit la marchande, d’aller vous porter moi-même la lettre à l’hôtel ?…