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Bien que son ancien seigneur, le comte Gunther, n’eût jamais consenti à reconnaître les fils d’Ulrich pour ses neveux, Blasius les regardait comme étant de la famille, et en usait avec eux très-cordialement.

Autant il était rogue et sec avec ses autres pensionnaires, autant il était bon prince avec Otto, Albert et Goëtz. Il avait mangé si longtemps le pain de Bluthaupt !

Ce soir, Otto était le bienheureux. Maître Blasius le favorisait de sa compagnie.

Albert et Goëtz avaient éteint leurs lampes ; ils dormaient sans doute. La cellule d’Otto restait au contraire éclairée. Maître Blasius et lui étaient assis auprès d’une petite table supportant une énorme cruche de grès, deux verres et un jeu de cartes.

Maître Blasius fumait comme un Allemand, c’est-à-dire mieux qu’un Turc. Il avait des façons solennelles de couper en quatre ses bouffées et refoulait les cendres dans le vaste fourneau de sa pipe avec une dignité d’empereur.

C’était maintenant un vieillard. Il gardait son apparence robuste, mais ses cheveux avaient blanchi, et sa magnifique gravité d’autrefois tirait un peu sur l’apathie. Il buvait, du reste, aussi roide que jadis. Il était enveloppé chaudement dans une douillette ouatée, et semblait savourer ce soir-là, mieux encore que de coutume, le confortable de sa position.

La cellule présentait un aspect d’aisance. Les prisons d’Allemagne sont admirables à cet égard. On se contente là de mettre les gens sous clef, mais on ne les étouffe point comme chez nous dans des geôles malsaines.

Le bâtard avait un bon lit entouré de rideaux, un bureau pour écrire et de commodes fauteuils.

Il était vêtu avec une sorte d’élégance bizarre. Comme autrefois le rouge dominait dans son costume. On eût dit qu’après avoir sacrifié ses droits à porter le nom de son père, il éprouvait une secrète jouissance à se parer encore des couleurs aimées de Bluthaupt…

Il portait une robe de laine écarlate, serrée autour des reins par une corde noire. Sa tête était nue ; ses cheveux tombaient comme autrefois en boucles abondantes le long de ses joues.

Les années semblaient avoir glissé sur son front pur et ferme comme le